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tige ; il ne pouvait ni les calmer ni les réunir, et, dans un mouvement de désespoir, il s’écria :

— Oh ! attendre jusque-là, c’est impossible ; j’en deviendrais fou !

Aussitôt et avec un mouvement de rage convulsive il agita l’infernale sonnette. Le Diable ne parut pas, mais la sonnette de l’appartement de Luizzi sembla lui répondre comme un écho sinistre. Ce bruit le glaça, et il était resté immobile à sa place, quand madame de Farkley entra dans sa chambre.

— Laura, Laura ! s’écria-t-il, au nom du ciel ! expliquez-moi cette lettre, je sens ma raison qui s’en va… Laura, Laura, qui êtes-vous ? et quel nom avez-vous donc porté d’abord ?

— Vous me le demandez ? répondit madame de Farkley d’un ton de moquerie élégante ; ah ! c’est pousser trop loin l’oubli de ses torts.

— Laura, par grâce ! qui êtes-vous ? comment vous appeliez-vous quand cet enfant vous a été remis ?

— Je me nommais Sophie. Les enfants de l’adultère n’ont pas deux noms.

— Mais quand vous avez été mariée ?

— Je m’appelais Sophie Dilois.

— Vous ! Mais il y a deux mois à peine… s’écria-t-il. Puis il reprit : Ah ! c’est impossible… c’est…

La porte de la chambre de Luizzi s’ouvrit, et son valet de chambre lui remit une lettre. Par un mouvement plus fort que lui, il l’ouvrit, et voici ce qu’il lut : Vous êtes prié d’assister aux convoi, service et enterrement de madame de Farkley, qui auront lieu lundi matin… février 182…

Luizzi laissa échapper cette lettre, et se retourna froid et anéanti vers cette femme qui était à côté de lui. Il lui sembla qu’elle se fondait dans l’air comme une légère vapeur, et il rencontra sous son regard le visage de Satan armé de ce sourire de feu qui lui avait déjà fait tant de mal. Luizzi dans sa fureur voulut s’élancer vers lui, une force surhumaine le tint cloué à sa place.

— M’expliqueras-tu cet horrible mystère, Satan ? s’écria Armand, suffoquant de rage et de désespoir.

— L’explication est bien facile, car c’est une affaire de dates et de chiffres, dit le Diable en ricanant. En 1795, à l’âge de seize ans, madame de Crancé eut une fille légitime qui s’appelait Lucy. En 1800, elle eut une fille adultérine qui s’appelait Sophie. En 1815, devenue veuve, elle eut une fille naturelle, celle que tu as vue chez Sophie, et à qui tu peux donner toi-même un nom,