Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

car vous avez une fière peur.

— Ne faites donc pas tant le fier, reprit la garde-malade, vous êtes blanc comme un linge. Donnez-m’en donc encore un petit verre : ça m’a porté un coup si terrible quand il s’est mis à appeler le Diable, que mes jambes tremblent encore dessous moi.

En parlant ainsi, elle s’assit devant la table. Pierre se plaça près d’elle, et, tout en lui versant un verre de punch, il lui dit :

— C’est pourtant pas la première fois que vous entendez le baron appeler le Diable.

— Pardi, non ! repartit madame Humbert en buvant son verre à petits coups, il n’a pas fait autre chose dans tout le commencement de sa maladie.

L’espèce d’hallucination qui avait saisi le baron s’était dissipée devant l’effroi de la garde-malade et du valet de chambre ; et, bien persuadé qu’il n’obtiendrait rien d’eux en leur parlant raisonnablement, il se résigna au silence, décidé à écouter tranquillement leur conversation, quoi qu’ils pussent dire.

— C’est tout de même une drôle de folie, dit Pierre, que de s’imaginer qu’on a le Diable à ses ordres.

— Il y en a de bien plus extraordinaires que celle-là, et, moi qui vous parle, j’en ai vu de bien étonnantes ; j’ai servi pendant un an entier une jeune fille de la Gascogne qui s’imaginait avoir fait un enfant, et avoir été enfermée pendant sept ans dans un souterrain.

Malgré sa résolution de se taire, Luizzi fut tellement surpris par cette nouvelle, qu’il s’écria tout à coup :

— N’est-ce pas Henriette Buré ?

La garde-malade sursauta, et Pierre lui dit :

— Qu’avez-vous donc ?

— C’est son nom, repartit la garde-malade ; d’où donc votre maître sait-il ça ?

— Bon ! il est Gascon aussi, il aura connu ça dans son pays. Laissez-le jaboter tout seul, et racontez-moi cette histoire-là.

— Je n’en sais pas autre chose, si ce n’est qu’elle a été amenée ici par un monsieur de sa famille. Du reste, elle n’est pas méchante du tout, et elle ne fait pas autre chose que d’écrire son histoire depuis le matin jusqu’au soir.

Ce que Luizzi venait d’entendre lui causa un véritable effroi. Il comprit comment, avec cette accusation de folie, on pouvait séquestrer jusqu’à la tombe la révélation de certains crimes. Il songea que lui-même était considéré comme insensé et que peut-être il y avait autour de lui des gens in-