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téressés à accréditer cette opinion. Il venait de reconnaître qu’il sortait d’une maladie où le délire avait longtemps régné. Pendant ce temps il avait pu raconter les aventures de madame du Bergh et de madame de Fantan, et si le bruit en était arrivé jusqu’à ces deux femmes, il n’était pas douteux qu’elles avaient dû plus que personne prétendre qu’il était fou. Il pensa aussi que ce n’était pas seulement durant quelques jours qu’elles avaient besoin de cette opinion sur son compte, et Luizzi dut craindre qu’elles ne tentassent tous les moyens de faire disparaître du monde un homme qui avait montré qu’il connaissait le secret de toutes leurs infamies. Le silence qui avait suivi la réponse de madame Humbert avait donné à Luizzi le temps de faire toutes ces réflexions. Le silence avait été occupé par l’absorption de quelques biscuits légèrement arrosés de punch, et Pierre reprit :

— C’est tout de même singulier qu’un être perde comme ça sa raison tout d’un coup et sans dire gare.

— Est-ce que votre maître n’avait jamais donné des signes de folie avant ces dernières six semaines ?

— Non, dit Pierre. D’ailleurs, il n’y avait guère que quinze jours que j’étais à son service, et il était à peu près comme tout le monde, si ce n’est que, quand il était enfermé, il avait l’habitude de parler tout seul.

— Et ça ne vous a pas averti ? dit madame Humbert.

— Ma foi non, répondit le valet de chambre, parce que je sortais précisément de chez un député qui passait toute sa journée à déclamer devant une grande glace posée en face d’une petite tribune qu’il avait fait faire dans son salon pour s’exercer à avoir de l’éloquence.

— Il devait avoir l’air d’un fameux bobèche ? reprit la garde-malade.

— Bien au contraire, repartit le valet de chambre, c’est un avocat en grande réputation, et qui passe pour avoir plus d’esprit qu’il n’est gros.

— C’est égal, ça doit être bien bête un homme qui est là en face d’un miroir et qui se fait des discours à lui-même.

Luizzi, qui voyait la conversation s’égarer loin de ce qui l’intéressait, voulut la ramener sur lui-même, et demanda encore une fois à boire.

— Est-il altéré ce soir, dit madame Humbert avec humeur.

— Avec ça que la tisane que vous lui avez donnée a dû joliment le rafraîchir : elle est toute tombée dans les draps.

— Tiens, c’est vrai, et j’ai oublié d’en faire d’autre ; et maintenant voilà qu’il n’y a plus d’eau dans la bouilloire et qu’il faut que je rallume le feu.

— Ne vous donnez pas la peine, ma-