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La ruse de Luizzi eut tout le succès possible, quelque grossière qu’elle fût. C’est qu’elle s’adressait directement à la cupidité, et il faut reconnaître que, si cette passion est l’une des plus ingénieuses à se créer des moyens d’arriver quand elle agit de son seul mouvement, elle est aussi la plus facile à se laisser prendre aux appâts les moins déguisés : c’est le propre de tous les instincts voraces, physiques et moraux. Le désir que le baron venait de témoigner fut rapidement accompli. Cependant il remarqua que Pierre et madame Humbert tenaient un conciliabule à voix basse, tandis que Louis lui donnait l’encre et le papier nécessaires. Une nouvelle frayeur saisit le baron. En effet, s’il faisait venir un notaire et lui confiait un testament, ne devait-il pas craindre qu’une fois persuadés qu’il renfermait des dispositions favorables pour eux, les misérables qui l’entouraient ne voulussent hâter le moment où ils pourraient en profiter ? Et il s’arrêta pour chercher un moyen de prévenir ce nouveau danger.

— Monsieur le baron n’écrit pas ? lui dit Louis en l’examinant.

— Hé ! comment veux-tu qu’il écrive ? dit Pierre ; tu sais bien qu’il n’a pas les mains libres.

Et aussitôt, s’étant approché, il écarta les couvertures et défit les liens qui attachaient les bras du baron. Luizzi tira ses mains de son lit avec une joie d’enfant ; mais cette joie se calma aussitôt à l’aspect de l’horrible maigreur de ses bras. Le malade dont le visage dépérit de jour en jour et qui suit, dans un miroir, les ravages de sa maladie, se rend difficilement un compte exact de l’altération graduelle de ses traits ; mais celui qui se voit tout à coup après un long espace de temps, et qui découvre l’état où le mal l’a réduit, celui-là éprouve le plus souvent une terreur qui lui est plus fatale que le mal même. Il en fut ainsi pour Luizzi. À peine eut-il vu ses bras, qu’il s’écria d’une voix épouvantée :

— Un miroir ! donnez-moi un miroir !

La servilité obséquieuse qui avait fait place dans l’âme des domestiques à l’ignoble indifférence qu’ils montraient auparavant, ne résista pas à ce désir du baron : madame Humbert remit un miroir à Luizzi, et le posa sur son séant. Quand il se vit alors avec son visage pâle, sa barbe longue, ses cheveux en désordre, ses yeux hagards et brillants de fièvre, le nez pincé, les lèvres blanches, il resta un moment immobile à se contempler. Ce prétendu courage, dont notre héros