Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/288

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se croyait si bien pourvu, s’évanouit soudainement, et il s’écria en larmoyant :

— Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu !

Puis, laissant échapper le miroir, il retomba sur son lit dans un état d’affaissement et de désespoir véritables, laissant couler de ses yeux de grosses larmes qu’il ne cachait pas à la curiosité avide de ses domestiques ; car en ce moment sa lâcheté avait vaincu sa vanité, ce courage de la plupart des hommes. Il semble que les bons serviteurs de Luizzi furent véritablement alarmés de ce spasme de faiblesse, car madame Humbert lui dit de la voix la plus douce possible :

— Est-ce que monsieur le baron ne veut pas écrire à son notaire ?

— Je suis donc bien mal ? dit Luizzi en regardant la garde-malade d’un œil inquiet.

— Non, Monsieur, non ; mais les bonnes précautions sont excellentes à prendre, et toujours est-il qu’il vaut mieux mourir après s’être mis en règle avec les hommes et avec Dieu.

— Avec Dieu ! repartit Luizzi en éclatant en larmes, avec Dieu ! moi, me réconcilier avec Dieu ! jamais, jamais ! l’enfer s’est emparé de moi, et…

— Put ! voilà que ça le reprend, dit Pierre ; c’était une fausse joie. Voyons, il faut le rattacher.

— Oh ! reprit Luizzi presque en pleurant, ne me liez pas, je vous en prie : je ne dirai rien, je me tairai, mais ne me liez pas. Je vais écrire ; je vais écrire à mon notaire.

Cette nouvelle assurance fit encore son effet, et Luizzi prit la plume qu’on lui présentait. Mais il ne voyait pas le papier ; sa main ne savait plus conduire sa plume ; il put à peine tracer quelques mots, et, épuisé par ce dernier effort, il retomba sur son lit.

— Dépêche-toi, Louis, dit Pierre à voix basse ; il n’y a pas de temps à perdre.

Le cocher sortit rapidement et ferma la porte avec bruit.

— Ne me laissez pas seul, dit Luizzi tremblant ; ne me laissez pas seul.

Pierre et madame Humbert s’assirent en silence à côté du lit, observant les moindres mouvements du malade, et s’empressant d’arranger son oreiller et de le placer le plus commodément possible. Tout le désordre de la chambre avait disparu, enlevé par Pierre, pendant que Luizzi écrivait ; de façon que, lorsqu’il regarda de nouveau autour de lui, il ne vit plus les traces de cette orgie nocturne dont il avait été le témoin. La tête affaiblie par la maladie et par le choc