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— Je vous dis que c’est impossible, disait le docteur d’un ton impératif ; ces imbéciles auront pris un moment de folie tranquille pour un retour à la raison, il y a encéphalite aiguë et persistante, nous sommes bien loin d’une guérison.

— Diable ! répondit alors le notaire, ce n’était pas la peine de me déranger et de me faire lever à une pareille heure. Quand on a veillé une partie de la nuit pour ses affaires, il n’est pas agréable de se lever au point du jour.

— Vous avez parfaitement raison, repartit le médecin ; mais votre présence ici est, je le crois, très-inutile.

— J’en serais désolé, dit le notaire : voyons cependant M. de Luizzi, et assurons-nous de son état.

Ils s’approchèrent tous deux, et Luizzi ouvrit les yeux pour voir le médecin à qui il était confié. C’était un homme d’une taille très-élevée, le front chauve quoiqu’il ne parût pas d’un âge très-avancé, mis avec une élégance particulière, et portant sa tête d’une façon toute théâtrale. Il se posa au pied du lit du baron, et, le regardant fixement avec un léger froncement de sourcils, il tendit le doigt vers lui et dit d’une façon toute doctorale :

— Voyez ! les traits sont saillants, la face est pourpre et vultueuse, les yeux sont rouges et animés ; le globe de l’œil est en rotation, le mouvement respiratoire est irrégulier et tremblotant, la peau est halitueuse, la maladie n’a pas diminué d’intensité.

— Je crois que vous vous trompez, docteur, reprit doucement le baron.

— Voyez, repartit M. Crostencoupe en souriant, il y a encore délire ; il dit que je me trompe.

— Je vous jure, docteur, reprit Luizzi, que j’ai toutes mes facultés ; et la meilleure preuve que je puisse vous en donner, c’est que voici les raisons qui m’ont fait appeler mon notaire.

Aussitôt le baron se mit à raconter au médecin la manière dont il était soigné par ses domestiques et leurs projets en cas de mort.

— Dieu de Dieu ! s’écria madame Humbert, en voilà-t-il une lubie ! j’ai passé la nuit tranquillement toute seule à côté de lui, et j’ai été obligée d’aller éveiller Louis qui dormait dans l’antichambre.

— Une preuve, reprit Pierre d’un air courroucé, c’est qu’on n’a qu’à voir dans le secrétaire et dans les armoires s’il manque quelque chose.

— C’est bon, c’est bon, dit M. Crostencoupe, vous n’avez pas besoin de vous défendre : il est bien certain que la folie continue.

— Mais