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c’est vous qui êtes fou ! s’écria Luizzi furieux en se levant sur son séant.

— Comment, vous l’avez détaché ? reprit vivement le docteur en voyant ce mouvement violent.

— Dame ! il a bien fallu pour qu’il pût écrire à M. le notaire, repartit madame Humbert.

— Allons, remettez-lui ses liens, dit le docteur.

— Ne vous en avisez pas, misérables ! cria Luizzi avec une fureur croissante.

— Dépêchons, dépêchons, reprit le médecin, ne faites nulle attention à ses cris.

— Qu’est-ce qu’il y a ? qu’est-ce qu’il y a ? dit le notaire en s’éveillant en sursaut ; car, fatigué de la nuit qu’il venait de passer à ce qu’il appelait ses affaires, il s’était assis sur un fauteuil et s’était laissé gagner par le sommeil pendant le récit de Luizzi.

— Mon Dieu ! repartit le médecin, le délire le reprend avec plus de violence que jamais.

— Monsieur Bachelin, criait Luizzi, venez à mon aide : c’est un assassinat prémédité.

— Vous l’entendez, reprit le docteur, la folie est complète.

— Envoyez-moi un autre médecin, disait Luizzi, je ne connais pas celui-là ; c’est un intrigant, un misérable ; je suis dans les mains de gens qui spéculent sur ma mort.

— Attachez-le plus solidement que jamais, disait le docteur, tandis que le baron se défendait le mieux qu’il pouvait.

Enfin, épuisé de forces, suffoquant de rage, il tomba affaissé et haletant sur son lit.

— Pauvre homme ! dit le notaire en le regardant, lui que j’ai vu si fort et si gaillard ! Ce sera un bel héritage pour les Crancé.

— Jamais, reprit Luizzi, ma fortune n’ira à une famille à laquelle appartient l’infâme madame de Fantan.

— Bon ! le voilà tout à fait reparti, dit le médecin. Éloignez-vous, Monsieur ; l’idée d’un testament ne peut que l’exaspérer encore plus.

Le notaire jeta en partant un regard de pitié sur le malheureux Luizzi et emporta sa dernière espérance. Dès que le médecin fut seul, il reprit en s’adressant à madame Humbert :

— Voyons, quel a été cette nuit l’effet des sangsues et des sinapismes ?

— Je ne les ai pas appliqués, la nuit ayant été très-calme.

— C’est peu probable, jamais le pouls n’a été si agité. Vous allez les lui appliquer immédiatement. Vous pourrez en mettre cent.

— Très-bien, dit madame Humbert.

— Je reviendrai ce soir, reprit le docteur, voir où nous en sommes.

Et il sortit aussitôt. Dès qu’il ne fut plus dans la chambre, les trois domestiques se regardèrent en face et semblèrent