j’en suis sûr, est une perfidie.
— Saint Paul a dit : Melius est nubere quam uri, il vaut mieux se marier qu’être brûlé.
— Mais enfin, dois-je périr ici ?
— Qui sait ?
— Tu veux être trop fin, Satan, reprit Luizzi en riant ; je t’ai pris à ton propre piége ; tu m’as demandé dix ans de ma vie, c’est que j’ai encore dix ans à vivre.
— Oui ! mais de quelle manière ? Tu es entre les mains d’un médecin qui te croit fou.
— Il faudra bien qu’il reconnaisse le contraire.
— Crois-tu qu’Henriette Buré soit folle ?
— Plaît-il ! s’écria Luizzi ; et tu penses que je pourrais aller finir mes jours dans une maison d’aliénés ?
— Il y en a de plus raisonnables que toi qui y sont morts.
— Tu calomnies la société, Satan.
— Je t’en ferai juge un jour.
— Quand cela ?
— Peut-être demain, peut-être dans dix ans : cela va dépendre de la résolution que tu prendras.
— Mais enfin ne peux-tu me dire une seule chose ? La honteuse scène que j’ai vue cette nuit était-elle vraie, ou bien était-ce l’effet de mon délire ?
— Tu as bien vu, tu as bien entendu.
— Cela fait lever le cœur, dit Luizzi.
— C’est que tu es malade, baron, et que tu as le goût dépravé.
— Prêcheur de vice, oserais-tu le défendre même sous cette ignoble forme ? reprit le baron.
— Bon ! fit le Diable, je laisse faire à la bonne compagnie.
— À la bonne compagnie ?
— À la meilleure et à la plus bégueule, mon cher, reprit le Diable en soufflant du bout des lèvres comme s’il eût été assailli par une mauvaise odeur ; seulement tu as eu en action l’avant-goût d’une littérature qui fera fureur dans quelques années.
— En France ? demanda Luizzi, chez le peuple le plus élégant et le plus spirituel du monde ?
— Oui, mon maître, chez le peuple le plus élégant et le plus spirituel. Il se créera bientôt une littérature consacrée à l’histoire de la loge, de la mansarde, du cabaret ; les héros en seront des portiers, des marchands d’habits, des revendeuses à la toilette ; la langue sera un argot honteux, les mœurs des vices de bas étage, les portraits des caricatures stupides…
— Et tu crois qu’on lira de pareils ouvrages ?
— On les dévorera, grandes dames et grisettes, magistrats et commis d’agent de change.
— Et l’on estimera de pareilles productions ?
— Je n’ai pas dit cette bêtise. Il en sera de cette littérature comme d’une femme galante, on la méprise et on court après elle.
— C’est bien différent.
— C’est absolument la même chose, baron ; c’est le privilége des plaisirs faciles. Pour se plaire à l’amour d’une femme distinguée, il faut de la hau-