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ne donne point le temps de faire plus profonds, et par conséquent gauches et cérémonieux. C’est dans une pareille marche que peuvent éclater sans effronterie ces regards bien articulés qui partent et brillent comme l’éclair et qui, comme l’éclair, ne durent qu’un moment ; ces regards à plein œil qui vous éblouissent et vous font retourner comme si quelqu’un vous eût heurté le cœur. Aujourd’hui les femmes ignorent tout cela : la mode est pour les inflexions molles de la tête, les balancements fatigués de la taille, et le regard à demi voilé qui s’appuie de loin sur un autre regard. Aussi n’avez-vous plus que des histoires de passions jaunes, effeuillées et languissantes, et presque plus de ces vertes histoires d’aventures amoureuses qui s’accomplissaient dans vingt-quatre heures, comme les comédies classiques. La tournure des femmes est-elle une cause ou un résultat de votre littérature ? c’est ce que je ne puis dire ; mais ce qu’il faut reconnaître, c’est qu’il y a entre elles une concomitance très-remarquable.

Or Olivia, femme d’esprit, grande musicienne, s’habillant à ravir, marchant délicieusement, était une femme parfaite. La seule chose que la nature lui eût refusée, c’était un type d’originalité nécessaire à une grande fortune : heureusement pour elle, sa mauvaise éducation y avait suppléé. Ainsi Olivia, vive, bonne, spirituelle, n’ayant guère que les vices de la faiblesse, eût manqué de cet attrait piquant et inattendu qui aiguillonne une passion et la pousse au délire, sans ces soudains revirements du ton le plus précieux aux expressions les plus grotesques. Cela lui avait donné un cachet particulier, qui, aux yeux d’un observateur consciencieux, explique bien mieux que sa parfaite beauté et ses talents réels le succès prodigieux qu’elle obtenait.

Le 1er mars 1785, Olivia atteignit quinze ans. C’était une personne d’une taille élevée, peut-être un peu maigre ; sa poitrine était large, bien effacée, et encore d’un enfant ; ses bras étaient minces, sa main petite, mais très-effilée ; ses pieds étroits, la cheville grêle, son visage long, à peine coloré. On comprenait que c’était une de ces femmes destinées à une haute beauté, mais qui ne se développent que tardivement dans toute leur splendeur, parce qu’il faut du temps à la nature, comme à l’homme, pour produire quelque chose de complet.

Ce jour-là, il y eut grand souper chez la Béru, qui avait