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XXIX

SUITE DU RÉCIT.


Avant de te montrer Olivia dans le monde, il est nécessaire que j’entre dans quelques considérations particulières sur l’état de son esprit. Elle commença sa vie de femme à la mode avec une singulière erreur dans le cœur. Olivia s’imagina avoir connu l’amour : le caprice d’enfant qui l’avait jetée à Bricoin avait eu des anxiétés, des espérances, des scènes de violence, quelques moments de plaisir, si faciles à confondre avec le bonheur quand on ne s’y connaît pas ; puis étaient venus les regrets, les larmes, la terreur. Cette aventure enfin avait traîné après elle tout l’attirail de l’amour. Olivia, qui n’avait pas d’expérience, s’y était laissée tromper, et elle conçut de cette passion une très-mauvaise idée. Or, en fille sage et spirituelle, elle se jura, comme je te l’ai déjà dit, qu’on ne l’y prendrait plus. On pourrait justement s’étonner qu’un cœur de seize ans n’ait pas gardé en lui assez de fraîches illusions, de vagues désirs, de languissantes pensées, pour retrouver par instants le vrai sens de l’amour : cependant il n’en fut pas ainsi. Dans une autre position et surtout à une autre époque, Olivia eût sans doute reconnu son erreur : mais que pouvait s’imaginer de l’amour la fille de madame Béru ? Quelle signification pouvait avoir pour elle le titre d’amant ? En partant du point de vue de madame Béru, l’amour était un commerce dont la maîtrise appartenait à la beauté. En le considérant du côté du monde qu’elle voyait, l’amour n’était encore qu’un échange de plaisirs où il était convenu que la fortune et la flatterie pouvaient tenir lieu de passion à l’amant, et la fidélité du lit de tendresse de cœur à la maîtresse. Il ne faut pas oublier non plus que la société corrompue où vivait Olivia était l’expression la plus naïve des mœurs courantes de la fin du dix-huitième siècle. Le sensualisme, la négation de toute règle et de tout lien moral, gouvernaient souverainement cette société décrépite, et Olivia fût-elle sortie de la sphère spéciale de corruption où elle était enfermée, il lui eût été encore très-difficile de