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Comme Olivia était la femme la moins jeune de toutes celles qui avaient été invitées pour cette fête, de même M. de Mère était le plus âgé des hommes qui y assistaient. Tous deux avaient été placés à table loin l’un de l’autre, car Olivia était l’objet des désirs des plus jeunes et des plus ardents, et M. de Mère le but des coquetteries des plus folles et des plus agaçantes. Ni les uns ni les autres n’obtinrent le moindre succès. Olivia et le général regardèrent en pitié ces joies fiévreuses, ces délires amoureux qu’ils avaient épuisés l’un et l’autre jusqu’à la lie. Olivia était trop belle pour accepter l’amour d’un jeune homme dont la passion l’eût mise au rang des vieilles femmes qui font des éducations, et M. de Mère n’aimait plus assez le plaisir pour risquer encore une désillusion. Le soir venu, le hasard, ou plutôt la solitude que tous deux cherchèrent dans un salon écarté, les fit se rencontrer ensemble. M. de Mère savait ce qu’était Olivia, mais Olivia ne connaissait pas M. de Mère. Il entama la conversation avec elle, non pas avec ce respect qu’appelle une réputation intacte, mais avec cette retenue qu’un homme distingué accorde à toute femme habituée à un monde élégant. Ils échangèrent d’abord quelques mots sur le peu de part qu’ils prenaient aux plaisirs de la soirée, et tous deux l’attribuèrent au fâcheux état de leur santé, car tous deux croyaient être assez une exception dans ce monde pour ne pas parler de l’état fâcheux de leur âme. S’intéressant fort peu l’un à l’autre et à eux-mêmes, ils abandonnèrent bientôt cette conversation pour parler de choses d’un intérêt général. Les guerres de la république et les succès de Bonaparte étaient alors dans toute leur splendeur, et M. de Mère en parla avec une chaleur et un enthousiasme qui attestaient qu’il y avait encore en lui bien plus de feu et de jeunesse qu’il ne le supposait. D’un autre côté, la littérature, les théâtres, les arts, la musique recommençaient à se montrer, et Olivia en parla avec un tact, une supériorité et un intérêt qui montraient aussi que son cœur était plus susceptible de douces émotions qu’elle n’eût voulu le croire. Ils passèrent ainsi les longues heures de cette soirée, s’écoutant tour à tour avec plaisir, mais sans réflexion ; puis tous deux, avertis par le silence de la fête qu’elle était finie, se trouvèrent avoir de beaucoup dépassé le moment où leurs habitudes plus rangées les rappelaient chez eux. Il fallut se séparer. M. de Mère, qui avait encore quelques semaines à perdre à Paris, ne voulut pas