Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/331

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dont vous ne parlez pas et ce qu’il me semble étrange de ne pas trouver ici.

« — Comment ! dit Olivia d’un air tout étonné ; il me semble que je viens de vous dire à l’instant même que j’y avais renoncé.

« — Pardon ! dit M. de Mère en souriant doucement, il me semble, à moi, que vous avez parlé de toute autre chose que de l’amour.

« — De quoi donc ?

« — Je ne sais trop comment vous le dire.

« — Oh ! soyez franc, reprit Olivia avec vivacité. Parlez, je sais tout entendre, je suis une bonne femme ; et, si vous voulez que je vous mette plus à votre aise, parlez, parlez, je suis une vieille femme. »

M. de Mère hocha la tête, et, souriant encore, il repartit :

« — Je parlerai parce que vous le voulez, voilà tout. Il me semble que ce n’est pas à l’amour que vous avez renoncé, d’après ce que vous disiez vous-même, mais à ce que nous autres, soldats assez grossiers, nous appelons des aventures galantes.

« — Oh ! je vous comprends, reprit Olivia en riant ; mais je vous dirai que je suis encore plus jalouse de repousser ce que vous appelez sans doute l’amour, que de renoncer à ce que vous appelez des aventures galantes.

« — Il vous a donc bien fait souffrir ? dit le général.

« — Oui, reprit Olivia avec une expression de honte et presque de dégoût, il m’a fait mal, un mal ignoble, repoussant, honteux ; je n’ai aimé d’amour qu’une fois, et je voudrais l’oublier.

« — Eh bien ! moi aussi, répondit le général, j’ai horriblement souffert de l’amour. J’ai été trompé dans les sentiments les plus saints, trahi dans le dévouement le plus complet, joué dans ma confiance et ma vénération pour celle que j’aimais, et cependant je ne donnerais pas pour beaucoup le souvenir de ces tourments passés.

« — Vraiment ? dit Olivia, en s’appuyant sur le bras de son fauteuil et en regardant le général avec une surprise étrange.

« — Et ne le comprenez-vous pas comme moi ? reprit le général en s’exaltant ; ne comprenez-vous pas que, lorsque le cœur est pauvre et épuisé, il se rappelle avec bonheur le temps où il était riche et abondant en douces ambitions et en nobles espérances ? Aimer ! aimer, avec cette pensée qu’il y a une âme à côté de vous qui épie tout ce que vous faites de bon et de beau pour en être heureuse, un être faible qui a foi en vous, qui vous donne son bonheur en garde, qui s’endort et s’éveille tranquille à l’abri de votre protection, ou qui, s’il se trouve enchaîné par des devoirs plus impérieux, mêle votre pensée à toute attente, à tout regret, qui vit en vous comme vous vivez en lui, qui vous