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core, était comme sont presque tous les hommes obéissant par vanité à de fausses idées, prenant de mauvaises voies qu’il croyait justes, sinon bonnes. Luizzi, c’est le vulgaire, et il suivit la route vulgaire parce qu’il n’y avait en lui ni une vertu ni une raison assez supérieures pour le retenir ou pour l’éclairer. Il ne comprenait pas l’homme fort qui voit le mal et choisit le bien parce qu’il sait que le bien mène au bien, parce qu’il sait que la société accepte le vice et le crime, mais ne les accueille pas comme l’humanité accepte les infirmités, mais ne leur ouvre pas volontairement ses portes. Il était fort au-dessous de ces hommes à qui la Providence a donné ce guide absolu qu’on appelle foi, et qui, voyant un phare au bout de l’horizon, y marchent sans s’inquiéter de la tourbe qui s’égare et qu’ils ne regardent pas. Il n’était point de ces âmes privilégiées, qui vont, qui vont sans cesse, et qui, si elles n’arrivent pas seules à la vertu, arrivent presque toujours seules au bonheur.

Voilà où en était Luizzi quelques jours après cette entrevue avec Satan : bien décidé à poursuivre son projet contre madame de Marignon, se croyant une grande expérience parce qu’il avait écouté le Diable raconter de méchantes actions. Puis, comme il était en train de vengeance, il s’ingénia à en inventer une contre M. Ganguernet : il trouva plaisant de le punir à sa façon, c’est-à-dire de le mystifier. Cette idée se développa rapidement en lui, et bientôt, la façonnant à sa guise comme un auteur fait d’un drame, il lui trouva toutes les conditions nécessaires pour réussir. Il se résolut à laisser Ganguernet et monsieur son fils poursuivre madame de Marignon, tandis qu’il irait lui-même chez M. Rigot qui avait deux nièces à marier. Le hasard lui avait appris cette circonstance, et Luizzi l’accueillit d’autant plus favorablement que c’était un hasard.

— J’ai voulu trouver dans un monde élégant, disait-il, un monde honnête et vertueux, et je me suis trompé. En cherchant une femme pure et noble dans ce monde, je me tromperais probablement encore. Laissons-nous aller au chemin qui s’ouvre devant nous. Les îles Fortunées ont été la découverte de gens qui ne savaient où ils allaient. Voilà qui est décidé. Je vais tenter le mariage auprès de M. Rigot. Je me crois assez noble pour épouser une femme de rien, assez riche pour me soucier peu de me tromper dans le choix que je ferai. Et, s’il faut que je m’adresse à celle qui est sans dot,