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je serai d’autant plus en droit d’exiger d’elle le respect du nom que je lui donnerai et une vive reconnaissance pour la fortune qui remplacera sa misère.

C’est ainsi que se parlait le baron de Luizzi, allant à la recherche d’une honnête femme, et ne comptant que sur des calculs d’égoïsme et de devoir de position pour la rencontrer, ne se confiant plus déjà ni au frein de la morale ni à ce saint amour du bien qui est le partage de certaines âmes.

Quelque prévention qu’il eût contre Satan, il le gardait cependant comme extrême ressource pour se sauver du danger d’être trompé. Luizzi, à moitié dépouillé de ses bons sentiments, était à l’égard du Diable dans la position d’un joueur en face de la roulette, lorsqu’il a laissé le meilleur et le plus liquide de sa fortune aux mains dévorantes du banquier : il ramasse les débris de ses capitaux et se résout à tenter une spéculation commerciale bien hasardeuse, mais au bout de laquelle il entrevoit encore le non-succès et la ruine. Alors il place une dernière espérance à côté de cette mauvaise chance ; il se réserve une petite somme avec laquelle il retournera au jeu et réparera peut-être les pertes qu’il a subies et celles qu’il prévoit. Luizzi était ce joueur, ou plutôt, selon sa pensée, il était le navigateur qui s’embarque avec un fort vaisseau pour aller chercher une nouvelle terre, qui s’approvisionne largement, arme son navire de toutes les précautions possibles, et qui, malgré tout cela, emporte avec lui une chaloupe et un canot pour leur demander un asile après le naufrage, et tenter sur une frêle embarcation le salut que son puissant vaisseau lui aura refusé. Luizzi, une fois qu’il fut bien décidé, mit à l’exécution de ses projets la rapidité d’un homme à qui l’argent donne toutes les facultés, l’activité et surtout la résolution. Deux jours après les confidences du Diable sur madame de Marignon, le baron courait en poste sur la grande route de Caen. Toutefois, avant de partir, il avait instruit Ganguernet et monsieur son fils de tout ce qu’il savait sur le compte d’Olivia, et avait donné à celui-ci une lettre d’introduction auprès de madame de Marignon. Elle ne manquait pas d’une certaine habileté, et madame de Marignon devait nécessairement s’y laisser prendre. La voici :


« Madame,

« Votre nom est le seul que j’aie trouvé inscrit chez moi