Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/353

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prit qu’on allait servir un souper pour les voyageurs qui attendaient le retour des chevaux, et lui demanda s’il voulait en être ou s’il préférait être servi à part. Luizzi, qui n’avait rien de mieux à faire qu’à ne pas rester seul, répondit qu’il souperait avec les voyageurs. Il se préparait à suivre la servante, lorsque le postillon lui fit un petit signe d’intelligence.

— Quoique vous soyez arrivé le dernier, lui dit le Normand, vous partirez le premier si vous voulez. Au milieu du souper, je passerai dans la salle, vous direz que vous allez vous coucher, vous trouverez votre voiture attelée, là, derrière la grande grange, et nous filerons rapidement sans que personne s’en doute.

— Mais vous ne savez pas le chemin ? dit Luizzi.

— Je viens de m’en informer, répondit l’imperturbable postillon, que Luizzi n’avait pas perdu de l’œil.

— Ma foi, non ! reprit le baron, je ne suis pas si pressé d’arriver.

— Tiens ! dit le postillon d’un air véritablement stupéfait, vous n’allez donc pas pour épouser ?

Luizzi resta un moment silencieux, tant il fut surpris à son tour de ce qu’il venait d’entendre, et à tout hasard il répondit :

— Non, non, je viens pour d’autres affaires.

— À la bonne heure ! dit le postillon, en reculant et en examinant le baron d’un air peu persuadé.

Il entra dans une grange où Luizzi crut entendre un bruit de chevaux et un murmure de voix. Il s’approcha de la porte pour vérifier un soupçon qui venait de naître tout à coup en lui, et il entendit le postillon dire tout bas :

— En voilà encore un pour le Taillis, mais ce n’est pas le plus malin de la bande.

La cloche, qui annonça que le souper était servi, empêcha Luizzi d’en entendre davantage ; mais le peu que nous venons de rapporter avait suffi pour lui apprendre que les voyageurs avec lesquels il allait souper avaient sans doute le même but que lui. En conséquence, il entra dans la salle à manger avec l’intention d’observer ses convives et de se tenir en garde contre leur curiosité.

À la tête de toute comédie, il y a une page ignorée du romancier et qui lui serait d’un grand secours s’il l’introduisait dans son œuvre. Cette page s’appelle « liste des personnages. » Je déclare m’emparer de ce moyen rapide et rationnel de mettre mes acteurs en scène, sans cependant demander