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attaché à mon étude quelques jeunes avocats dont je fais la fortune, les plaidoyers et la réputation. Grâce à moi, le jeune barreau de Caen donne de grandes espérances ; ces bons jeunes gens en profitent, j’y mets de la discrétion, et tout va le mieux du monde.

— En ce cas, reprit Marcoine, vos clercs doivent être bien heureux, Monsieur. Ils doivent trouver la besogne toute mâchée ; ce n’est pas comme chez nos patrons de Paris, dont nous faisons les affaires et qui perçoivent les bénéfices.

— Ah ! monsieur est dans la cléricature ? dit M. Bador en regardant le jeune homme par-dessus l’épaule.

— Et dans le notariat, repartit le jeune homme en mesurant M. Bador d’un air très-dédaigneux.

— Ma foi ! Messieurs, dit le baron, puisque chacun de vous veut bien dire ce qu’il est, je crois devoir vous montrer la même confiance : je m’appelle Armand de Luizzi, et je ne fais rien.

— Voilà un bel état ! dit M. Furnichon, en se levant de toute sa belle taille et en se cambrant devant un petit miroir ; mais il faut espérer que cela nous viendra, car j’ai assez de la bourse et du trois pour cent.

— Eh ! fit le petit clerc de notaire, il me semble, en effet, que je vous ai vu à Paris.

— Eh ! Eh ! je vous connais bien aussi, répondit M. Furnichon en lâchant sa grosse voix par ses grosses lèvres roses ; nous avons fait un écarté ensemble au Veau-qui-Tète, à la noce d’un de mes camarades qui a épousé la fille d’un ex-cordonnier.

— Laquelle lui a apporté quatre cent mille francs de dot, repartit le clerc de notaire, avec quoi il a acheté, six mois après, la charge de M. P… : ça été une belle affaire pour lui.

— On peut en faire de meilleures, dit le commis en caressant sa cravate.

— Ce n’est pas dans notre pays, fit l’avoué.

— Qui est-ce qui vous parle de votre pays ? repartit le clerc de notaire.

— Au fait, reprit M. Furnichon, qui est-ce qui vous parle de votre pays ?

— On dit cependant qu’il y a de grandes fortunes dans le Calvados, dit Luizzi, pendant qu’il s’asseyait avec ses convives devant le souper qui venait de leur être servi.

— Oui, oui, dit M. Bador en mangeant si nonchalamment son potage qu’il se brûla abominablement, quelques fortunes foncières, de l’argent placé à deux et demi, mais du reste, point de capitaux disponibles, point de dot en argent comptant, des pensions hypothéquées sur des propriétés, voilà tout ce qu’on trouve chez nous.

— Il y a peut-être des exceptions ? dit M. Furnichon d’un gros air fin.

— Vous en connaissez ? fit le clerc d’un ton indifférent, en se servant du