Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/357

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petit bout des doigts une mauviette.

— Peut-être, reprit somptueusement le commis d’agent de change en s’emparant d’une énorme côtelette de veau en papillote.

— Et monsieur vient leur rendre visite ? dit M. Bador en examinant attentivement le visage du commis.

— Non, je viens chasser dans les environs.

— Au mois de mai ? reprit Luizzi.

— Probablement, repartit M. Bador en guignant le commis, le gibier que Monsieur poursuit est de toutes les saisons ?

— En effet, répondit le clerc de notaire en avertissant ses convives de l’œil, Monsieur doit aimer la grosse bête.

Mais le commis ne comprit pas, et reprit :

— Et vous, monsieur Marcoine, que diable venez-vous faire ici ?

— Je ne suis pas si heureux que vous, je n’y suis pas pour mon plaisir ; je suis venu visiter une propriété pour un de nos clients.

— Si vous voulez me la nommer, je vous donnerai tous les renseignements que vous pouvez désirer, dit l’avoué ; car je connais toutes les propriétés un peu considérables du pays.

— Oui-da ! fit le clerc, pour nous mettre une surenchère ?

— Vous me croyez de Paris, reprit M. Bador d’un petit air moqueur.

— Non, dit le clerc de notaire ; mais je ne vous crois pas de votre village.

Cette accusation de mauvaise foi passa dans la conversation comme le mot le plus indifférent, et l’avoué normand, se croyant rassuré sur les motifs de la présence à Mourt des deux Parisiens, se mit à observer Luizzi. Celui-ci lui paraissait plus dangereux que les autres. En effet, l’un avait quitté la diligence et l’autre la malle-poste pour s’arrêter au dernier relais, tandis que ce dernier venu était arrivé en magnifique berline attelée de quatre chevaux.

— Et vous, Monsieur, lui dit-il, peut-on savoir sans indiscrétion, ce qui vous appelle dans notre pays ?

— Moi, reprit Luizzi, j’y viens à peu près pour les mêmes motifs que vous tous ; j’y viens chasser sur les mêmes terres que Monsieur, et visiter la même propriété que Monsieur.

Le clerc et le commis d’agent de change se regardèrent, et l’avoué parut fort étonné de la réponse.

— Bah ! fit le commis d’agent de change, vous venez chasser sur les terres de… ?

— Bah ! dit le clerc en même temps, vous venez voir la propriété de… ?

— Oui, répondit le baron en ayant l’air de chercher ses mots ; je viens chasser sur les terres de… et voir la propriété de… C’est drôle ! je suis comme vous, j’ai oublié les noms : aidez-moi donc un