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lorsque, à droite et à gauche de la grille et le long du mur d’enceinte, il aperçut de chaque côté une ombre qui allait et venait.

Luizzi n’était pas peureux ; mais la présence de deux hommes à cette porte, et quand le jour paraissait à peine, la rage des chiens surtout, lui firent craindre d’avoir affaire à des gens malintentionnés, et il se hâta de sonner à la grille du parc. À peine la cloche avait-elle retenti, qu’immédiatement il vit accourir les deux ombres. Luizzi n’eut que le temps de s’appuyer à la grille en tirant un petit poignard engaîné dans sa canne, et il fit face à M. Furnichon et à M. Marcoine. Tous deux étaient gelés, transis, grelottants : ils avaient le visage violet, les cheveux pendants d’humidité. Luizzi les regardait alternativement d’un air stupéfait, lorsque M. Marcoine s’écria :

— Sonnez ! sonnez tant que vous voudrez ; du diable si on vous ouvre !

— Mille sacré mille !… voilà huit heures que nous sommes là, dit le commis dans un état de rage qui aurait dû le réchauffer un peu ; nous avons fait un carillon d’enfer, et, si ce n’avait été ces grandes bêtes de chiens, je vous donne ma parole d’honneur que j’aurais escaladé le mur.

— Le château était donc fermé quand vous êtes arrivés, Messieurs ? dit Luizzi, à qui prenait peu à peu une envie de rire. Pourquoi donc n’êtes-vous pas revenus à l’auberge ?

— Et de quelle manière ? dit le clerc. J’arrive, et le postillon me défait mes deux porte-manteaux, en me disant : « Vous n’avez qu’à sonner un peu fort, on va vous ouvrir. » Sur ce, je le paye ; mais, pendant que j’étais en train de lui donner son argent, ce qui a duré assez longtemps, vu que j’avais l’onglée, voilà Monsieur qui arrive en carriole. Il avait été encore plus adroit que moi : il avait payé d’avance. Sitôt qu’il me voit, il saute à terre, et il s’écrie : « Déchargez mes malles… Ah ! ah ! monsieur Marcoine, j’ai été aussi fin que vous. Vous ne serez pas le premier à voir M. Rigot, etc., etc. » Et mille autres sottises.

— Plaît-il ? fit le commis.

— Eh ! oui, des sottises. Monsieur s’imagine que je viens ici pour… Mais laissons cela. Enfin, Monsieur, pendant que nous nous disputions, voilà la carriole qui s’en retourne et qui laisse Monsieur, comme moi, à la porte. Je me mets à sonner… une fois… deux fois… rien. Je resonne… nous resonnons… rien. Enfin, au bout d’une heure, nous nous apercevons qu’on nous a joués, qu’on nous a conduits à un château inhabité.