Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/364

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traits. Vous la verrez, Monsieur. Ah ! si elle n’avait pas eu des malheurs… Enfin, ce n’est pas sa faute ni la mienne, car je l’ai élevée comme une duchesse, toujours dans du coton. J’étais donc venue pour voir s’il ne vous manquait de rien, parce que mon frère est un excellent homme, mais qui n’entend pas les égards qu’on doit à un étranger tel que vous êtes.

— J’ai été parfaitement reçu, dit Luizzi ; rien ne m’a manqué.

— C’est que les domestiques, reprit madame Turniquel en prenant une serviette et en époussetant les meubles, ce sont des fainéants ; pourvu que ça mange, que ça boive et que ça dorme, ils ne s’inquiètent pas du tout si l’ouvrage est FAITE. Par exemple, voilà une chambre : c’est balayé tout juste au milieu, les côtés s’approchent s’ils en veulent. C’est pas étonnant : quand on arrive comme mon frère de chez les sauvages, on ne peut pas avoir idée de la société comme moi qui l’ai toujours habitée.

— Cela se conçoit, dit Luizzi en ouvrant la fenêtre pour échapper au nuage de poussière que les soins de madame Turniquel élevaient autour de lui.

— Faites attention, lui dit la bonne dame, n’ouvrez pas la fenêtre ; ce n’est pas sain pour les fraîcheurs qu’il fait dans cette saison. Je puis vous dire ça, parce que j’en ai l’expérience, ayant étudié en médecine pour être sage-femme.

— J’ai un excellent moyen de combattre cette fâcheuse influence : j’ai l’habitude de fumer un cigare tous les matins.

— Et vous avez raison, Monsieur, c’est excellent pour l’estomac. J’en ai fait l’épreuve quand j’étais en mer, où je fumais beaucoup à cause de l’escorbut qui avait pris tout l’équipage.

— Ah ! dit Luizzi, Madame a beaucoup voyagé ?

— J’ai été deux fois en Angleterre pour y rejoindre Génie et lui porter son enfant ! Génie, c’est ma fille, Monsieur… Tenez, la voilà qui passe dans la cour, là-bas !

En ce moment, Luizzi vit en effet une grande et belle femme passer rapidement sous ses fenêtres. Madame Turniquel lui cria de toutes ses forces :

— Bonjour, Génie, bonjour.

La personne ainsi interpellée leva la tête et parut fort surprise d’apercevoir le visage de Luizzi à côté de celui de sa mère. Elle salua avec un peu de confusion et fit un petit signe à cette espèce de jockey que Luizzi avait déjà remarqué. Il s’approcha d’un air craintif et soumis, écouta avec une attention profonde ce que sa maîtresse lui dit, puis partit aussitôt comme un trait et entra dans le château. À peine