Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/365

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Luizzi l’avait-il perdu de vue qu’il entendit ouvrir sa porte et vit le jockey qui s’avança jusqu’à la fenêtre où était madame Turniquel en lui criant :

— Ha-haa, mama à la bas, ha-haa.

— Qu’est-ce que me veut cette figure de tapisserie ? dit madame Turniquel en se retournant.

— Ha-haa, fit le jockey, ha-haa, mama à la bas… Génie, Génie.

— Ah ! ma fille me demande, n’est-ce pas ?

Le jockey fit de la tête un signe affirmatif, et montra la porte à madame Turniquel.

— C’est bon, c’est bon. À l’honneur, Monsieur, on va déjeuner dans une petite demi-heure, vous entendrez la cloche.

— Je vous remercie de votre bonne visite.

Et il reconduisit la bonne femme pendant qu’elle se confondait en révérences magnifiques. À peine eut-il fermé la porte qu’il se laissa aller à rire tout haut, et presque aussitôt il entendit un petit rire aigre répondre au sien. Il se retourna et vit le jockey qui se mit à contrefaire la grosse et pesante tournure de madame Turniquel en riant aux éclats. Ce jockey était un être bien remarquable : il avait le visage tout tatoué, des cheveux noirs et lisses, des yeux brillants et pleins d’astuce, les dents longues, étroites et étincelantes ; il paraissait âgé de vingt-cinq ans. Son aspect arrêta le rire de Luizzi, qui se mit à le considérer avec une certaine curiosité. À peine le jockey se vit-il ainsi regardé, qu’il se tut, baissa la tête et se rangea le long de la muraille en lançant de côté sur le baron des regards pleins de défiance. Luizzi, continuant à le regarder avec la même attention, le jockey commença à porter autour de lui des regards de plus en plus inquiets ; puis, ayant aperçu dans un coin de la chambre une paire de bottes, il s’en empara en poussant un cri de joie et l’emporta avec rapidité avant que Luizzi eût tenté d’adresser une question à cet être singulier. À peine fut-il sorti que le baron commença à se demander s’il n’était pas dans une maison de fous, et il réfléchissait aux deux singulières visites qu’il venait de recevoir, lorsqu’il entendit s’arrêter une voiture dans la cour du château. Il se mit à la fenêtre pour voir quelle nouvelle caricature venait s’ajouter à celles qu’il avait déjà vues. Il était dans la destinée de Luizzi de se tromper presque toujours. Une femme mise avec une certaine élégance et un beau jeune homme descendirent de cette voiture. À peine les nouveaux venus avaient-ils mis pied à terre, que madame Turniquel courut au-devant d’eux et s’écria :