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de la phrase de sa mère, voulez-vous un peu de ce poulet ?

— Merci, je finis mon hareng saur, puis je mangerai un peu de crème, et ce sera tout.

— Quant à moi, dit M. Rigot, je suis fataliste ; le grand Napoléon était fataliste, tous les grands hommes sont fatalistes.

— Je le sais bien, dit madame Turniquel, je l’ai entendu dire cent fois à l’empereur, moi qui vous parle.

— Ah ! ah ! fit Luizzi, vous avez connu l’empereur, Madame ?

— Comme je vous connais…

Et pendant qu’Ernestine interrompait sa grand’mère en lui offrant de la crème, madame Peyrol disait tout bas à Luizzi d’un air de prière plein de charme et de dignité :

— Épargnez ma mère, Monsieur, je vous en prie.

Pour changer la conversation, elle s’adressa alors au jeune clerc de notaire qui avait gardé un prudent silence, et lui dit :

— Eh bien ! Monsieur, quelles nouvelles intéressantes nous donnerez-vous de Paris ?

— J’en sais fort peu, Madame, répondit-il d’un air modeste ; je m’occupe beaucoup en ce moment des affaires de l’étude, et j’en instruis à fond le second clerc qui va me remplacer.

— Ah ! ah ! dit M. Rigot, vous quittez le notariat, jeune homme ?

— Non, Monsieur, non, fit le clerc de notaire d’un air d’indifférence, j’achète une charge, la meilleure charge de Paris, assurément.

— Alors vous vous mariez ! reprit le commis d’agent de change.

— Mais oui, fit le clerc, je trouve de très-beaux partis. Le notariat, voyez-vous, c’est une carrière qui plaît aux parents, c’est un placement sûr et honorable de l’argent, une fonction solide et estimée dans le monde, des rapports avec tout ce qu’il y a de mieux dans la capitale, et, au bout d’un certain temps, une fortune considérable, un nom bien posé qui ouvre la porte à toutes les ambitions, si l’on en a.

— Moins que la charge d’agent de change, dit le commis. En fait de fortune, s’il faut la chercher quelque part, c’est là ; en fait de monde, celui de la banque est un peu plus élégant que celui du notariat, et, quant à l’ambition, il me semble qu’elle arrive plus vite par la bourse que par l’étude.

— Nous avons trois notaires de Paris députés, et quatre qui sont maires de leur arrondissement ou membres du conseil général, repartit le clerc avec vivacité.

— C’est possible, reprit le commis, mais il y deux agents de change colonels de la garde nationale. Le comte P… qui a été banquier, et qui est maintenant pair de France, a commencé par être agent de change. Le change est