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pourquoi. Cependant il se remit à observer ce qui se passait autour de lui, et il se donna le spectacle réjouissant des tourments du maître clerc et du commis promenant leurs hommages de la fille à la mère et de la mère à la fille, tandis que le comte de Lémée tenait bon auprès de madame Peyrol et l’avoué auprès d’Ernestine. Le peu d’attention que celle-ci fit aux premières paroles de Luizzi engagea Armand à s’occuper plus particulièrement d’Eugénie, et il crut remarquer en elle un esprit droit, élevé, sérieux, une haute intelligence de ses devoirs envers sa mère et sa fille, et une résignation pleine de dignité au rôle ridicule que son oncle lui avait imposé. Cependant le parti de Luizzi était pris à peu près ; il comprit qu’eût-il rencontré un ange, il était presque impossible que lui, jeune, beau, élégant et riche, s’associât à une pareille famille, et il se décida à quitter le lendemain cette maison. Il était assez embarrassé de s’expliquer avec M. Rigot, mais le soir même celui-ci lui en offrit l’occasion. Après le dîner, le maître de la maison pria les hommes de vouloir bien lui tenir compagnie pour vider ensemble quelques bouteilles. Lorsque les dames furent retirées et qu’ils furent seuls, M. Rigot prit la parole et leur dit :

— Messieurs, je sais pourquoi vous êtes tous venus ici ; il y a deux millions à gagner, et vous en avez tous envie.

Chacun se récria, excepté Luizzi, qui, fort de sa résolution, se garda le droit de répondre avec hauteur à cette impertinente proposition.

— Je vous dis qu’il y a deux millions à gagner et que vous en avez envie ; ne faites donc pas les bégueules et écoutez-moi.

— Vous êtes toujours plaisant, mon cher Rigot, repartit l’avoué en lui versant à boire.

— Et nous entendons la plaisanterie, dirent les autres en trinquant avec l’ex-maréchal-ferrant.

— Eh bien ! Messieurs, je dois vous dire une chose, c’est que je commence à être fatigué de la visite de tous les épouseurs qui, s’ils n’attrapent pas les dots, attrapent les dîners. Je dois donc vous avertir que j’ai signifié à mes nièces de faire leur choix dans les vingt-quatre heures. Vous voilà cinq beaux jeunes gens de tout âge et de toutes professions. J’ai d’excellents renseignements sur votre compte, et vous me convenez tous. Arrangez-vous donc pour faire aussi votre choix et vous décider. Tâchez de deviner juste ; car, je vous le déclare, la dot de deux mil-