Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

lions est donnée, et celui qui ne l’aura pas n’aura pas un sou.

Le jeune pair et l’avoué échangèrent un regard d’intelligence, et le commis et le clerc semblèrent fort désappointés. M. Rigot continua :

— Demain au soir le choix sera fait, après-demain les bans seront publiés, et dans huit jours nous célébrons le mariage, à moins qu’il ne faille plus de temps à ces Messieurs de Paris pour faire venir leurs papiers de famille.

Le commis et le clerc de notaire se regardèrent d’un air encore plus embarrassé. Mais le beau M. Furnichon, prenant de l’audace dans sa sottise, osa répondre :

— Ma foi ! ce n’est pas moi qui vous ferai attendre. J’ai mes papiers en poche.

M. Rigot se mit à rire, et, s’adressant au clerc, il lui dit :

— Et vous, jeune homme ?

— Je ne suis pas plus bête que M. Furnichon, répondit-il effrontément.

— Quant à ces Messieurs, dit M. Rigot, ils sont prêts depuis longtemps, il ne nous reste plus qu’à savoir les intentions de M. le baron.

Armand venait de recevoir une de ces rares leçons auxquelles peu d’hommes sont admis. Il venait de voir jusqu’à quel point la cupidité poussée à bout pouvait supporter d’humiliation ; il se sentit révolté de tant de bassesse, et prenant en main la cause de la dignité humaine, il répondit :

— Je ne ferai jamais un marché honteux du lien le plus sacré, de l’engagement le plus solennel, et ces Messieurs peuvent courir la chance des deux millions sans que je leur fasse concurrence.

M. Rigot devint rouge de colère à cette réponse du baron ; mais il se calma presque aussitôt en jetant sur Luizzi un regard d’une méchanceté telle, qu’elle eût alarmé le baron s’il avait pensé que cet homme pût quelque chose contre lui. En même temps les quatre épouseurs se récrièrent sur ce que le baron les insultait et ils voulurent lui en demander raison.

— Silence ! cria M. Rigot. S’il y a insulte, elle est pour moi ; et si j’ai envie de la venger, cela me regarde. N’en parlons plus, monsieur le baron. À vous le champ libre, Messieurs ! nous allons rejoindre ces dames.

Il sortit aussitôt pour gagner le salon. L’avoué et M. de Lémée suivirent M. Rigot ; mais, au moment où ils passaient la porte, M. Bador tira son mouchoir de sa poche et laissa