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quand elle cesserait d’être marchande. Il fut introduit par une servante fort polie, qui, sans l’annoncer, le conduisit jusqu’au premier étage, traversa une petite pièce, et, sans avertir, ouvrit une porte et introduisit le baron dans la chambre en disant :

— Voilà un monsieur qui veut vous parler.

Madame Dilois parut surprise et embarrassée de cette visite inattendue. Elle était assise d’un côté de la cheminée, le beau commis en face d’elle. La modeste, mais élégante parure du matin était remplacée par un déshabillé où la propreté seule brillait d’un pur éclat, mais qui attestait qu’on se montrait volontiers à M. Charles dans toutes les toilettes. La chambre était dans ce désordre qui annonce l’heure du repos ; la couverture était faite, deux oreillers dormaient sur le traversin.

Dans les habitudes luxueuses d’un monde élevé, on ignore ce qu’il peut y avoir d’attrayant à l’œil dans le lustre d’une blancheur éblouissante de linge. C’est à peine si l’on voit la finesse et la neige de la toile parmi les plis de soie d’un lit à la duchesse et les dorures d’une chambre élégante ; mais dans l’habitation modeste d’une petite bourgeoise de province, à côté de ces meubles en noyer noircis par le temps, sous les rideaux de couleur sombre qui l’enveloppent, un lit blanc d’albâtre ressort comme une figure virginale. Tout ce qui est là devant vous, tout cet aspect inattendu ou qui a sa grâce particulière, peut donner au plus froid et au plus timide des désirs soudains et hardis : et si, comme Luizzi, on sort d’une aventure où l’on a vu se jeter dans ses bras une femme d’un rang élevé et pour laquelle on avait encore plus de respect que d’affection, il est permis de penser qu’il peut nous en arriver autant avec la petite bourgeoise qu’on estime coquette et facile, et qu’on se dise :

— Pardieu ! voilà une place qui me convient et qu’il faut que j’occupe ce soir.

Ce soir, ce soir même, entendez bien ! Il y a de ces conquêtes qui ne flattent que par leur rapidité. Entre un homme comme le baron de Luizzi et une femme comme la marchande de laine, une victoire après un mois ou deux de cour assidue et de soins amoureux ne pouvait avoir rien de très-flatteur et de bien piquant ; mais triompher en quelques heures d’une femme qui, selon la pensée de Luizzi, devait avoir assez l’habitude de la défaite pour avoir toutes les res-