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sources de la défense, cela lui parut original, amusant, désirable. D’ailleurs il y avait là un rival à supplanter, un amant, beaucoup mieux qu’un mari : c’était une vraie bonne fortune. Car persuader à une femme de tromper son mari, c’est la conduire ou la maintenir dans la voie du mariage ; mais la pousser à tromper un amant, la faire faillir à une faute, la rendre infidèle à une infidélité, c’est beaucoup plus difficile, beaucoup plus immoral en amour : cela vaut la peine de réussir.

Toutes ces idées, que nous venons d’énumérer longuement, expliquent la résolution de Luizzi plutôt qu’elles ne la dictèrent. Armand, en voyant le beau Charles auprès de madame Dilois, en apercevant ce lit entr’ouvert, se sentit pris de l’irrésistible envie d’y tenir la place qu’il supposait que le beau Charles devait y occuper. Il commença par s’excuser sur l’inconvenance de l’heure.

— Pardon, Madame ! dit-il après s’être assis entre Charles et madame Dilois ; pardon de me présenter si tard ! nous autres gens qui ne faisons rien, parce que je crois qu’en vérité nous ne sommes bons à rien, nous commençons la journée si tard, que nous sommes arrivés à la fin sans avoir eu le temps de nous occuper de nos affaires ; excusez-moi donc, Madame, de venir vous importuner des miennes, lorsque les vôtres sont finies depuis longtemps.

— Hélas ! Monsieur, reprit madame Dilois avec un petit sourire ennuyé, les affaires ne finissent jamais pour nous, et, lorsque vous êtes entré, je recommençais déjà celles de demain ; nous cherchions à nous rappeler une erreur de compte qui nous échappe depuis huit jours.

Luizzi jeta un demi-regard sur le beau Charles, dont il trouva les yeux fixés sur lui. Cet homme est un amant, pensa-t-il ; l’instinct de la jalousie lui a déjà donné de la haine contre moi. Et cette idée servant d’éperon à celle que le baron avait déjà enfourchée, il alla si vite dans ses désirs qu’il se jura d’en arriver à ses fins et qu’il y engagea son honneur. Cependant cela paraissait difficile ; car le commis ne semblait point disposé à se retirer, et quelque bonne opinion qu’on ait de soi ou quelque mauvaise opinion qu’on ait d’une femme, il est difficile de la séduire ou difficile qu’elle se laisse séduire en présence de son amant. Toutefois les femmes ont tant de raisons pour céder à un homme, que l’amour n’entre certainement pas pour un quart dans le nombre