Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/79

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chapper, et je ne saurai où vous trouver. Je vous laisserai fuir, soyez-en sûre ; puis je m’orienterai et j’irai devant moi quêtant vos traces, non plus sur les pas de votre haquenée imprimés sur la route, mais au parfum de distinction et de bonheur que vous aurez laissé sur votre passage. Je ne sonnerai pas du cor à la herse de tous les castels, mais je frapperai à la porte de tous les salons ; je ne vous chercherai pas dans quelque beau tournoi, mais je vous attendrai dans toutes les élégantes réunions ; je ne demanderai pas votre belle présence à la fenêtre en ogive de quelque haute tourelle, mais il y aura un balcon chargé de fleurs, une fenêtre doublée de mousseline, derrière laquelle je vous verrai un jour après avoir longtemps cherché ; et alors il faudra arriver à vous. Vous avez un père, un mari, un frère, qui vous défendront, qu’il faudra tourner, miner, emporter. Herses, tourelles et mâchicoulis qui me séparez de mon héroïne, vous tomberez devant moi, et j’arriverai alors à ses pieds pour lui dire : C’est moi, je vous aime, je vous aime comme un fou, prenez ma vie et donnez-moi votre main à baiser.

— Que de folies ! que de belles imaginations !

— Oh ! ces folies, je les ferai ; ces imaginations, je les mettrai à exécution.

— Laissons cela. Ne pouvez-vous parler raisonnablement ?

— Peut-être n’est-ce pas raisonnablement que je parle ; mais, à coup sûr, je parle sérieusement.

— Vous ne prétendez pas me le persuader ?

— Aujourd’hui ? non. Mais bientôt, mais quand je vous aurai retrouvée, quand vous me reverrez à votre horizon aller sans cesse autour de vous comme le satellite esclave d’un si bel astre, alors vous reconnaîtrez que j’ai dit vrai.

— Mais, Monsieur, si j’étais assez folle pour vous croire, savez-vous que je pourrais trouver vos projets plus qu’extravagants ?

— Encore aujourd’hui vous avez raison. Mais alors, en voyant que je le fais, vous vous diriez que je ne pouvais faire autrement et que la passion m’a emporté.

— En vérité, Monsieur, nous voilà dans un monde qui m’est tout à fait inconnu. Il faudrait donc que, parce que j’ai eu le malheur de vous rencontrer, je fusse condamnée à voir ma vie persécutée par vous ? Et pour parler sérieusement, et à votre exemple, de quel droit, pour donner à votre vie un