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Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome II.djvu/445

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de papier caché dans un coin de la chambre et me le remit en disant :

« — Lisez cela, Madame, et vous, que je sais être une femme d’un esprit élevé, vous me direz alors ce que je dois penser de cette étrange rencontre.

« Ce manuscrit, je l’ai lu, et je vous l’envoie, afin que vous, qui êtes libre, puissiez consulter quelques jurisconsultes sur une pareille affaire. »

Ce manuscrit était à peu de chose près la répétition de celui que nous avons inséré dans le premier volume de ces mémoires, et qui renferme le récit des infortunes d’Henriette Buré. La lettre continuait ainsi :

« J’avais terminé cette lecture et je comparais en ma pensée les souvenirs confus de la petite mendiante et le récit de la malheureuse Henriette ; je m’étais rappelé mot à mot cette scène où l’enfant, en présence de sa mère, avait retrouvé tous les noms qu’elle m’avait dit avoir oubliés et que j’avais reconnus dans le manuscrit d’Henriette. J’étais épouvantée de ce que je croyais découvrir, lorsque le médecin parut.

« — Eh bien ! me dit-il, vous avez lu, n’est-ce pas ?

— Oui, lui dis-je : la femme qui a écrit cela n’était pas folle.

— Elle l’est maintenant, dit le médecin ; elle avait épuisé dans la douleur et l’espérance tout ce que Dieu lui avait accordé de courage, elle en a manqué pour sa joie et pour la réalisation de l’espoir qui la soutenait.

— Quoi ! m’écriai-je, folle quand elle devrait être heureuse, folle quand il allait être prouvé qu’elle ne l’avait jamais été !

— C’est trop de malheurs, n’est-ce pas ? me dit le médecin, qui semblait plus accablé que moi de cette terrible découverte.

— Mais, lui dis-je tout à coup en me rappelant une autre infortunée, mais madame de Carin ?

— Oh ! pour celle-là, dit le médecin, c’est une véritable idée fixe, tout à fait incurable ; elle a écrit aussi son histoire, et je vous la communiquerai si vous en êtes curieuse. Elle a cela de remarquable, qu’elle est faite avec une précision, une adresse et une hypocrisie dont les gens du monde ne peuvent croire qu’une insensée puisse être capable. Elle a grand soin de cacher la mauvaise conduite qui a forcé son mari à être si sévère envers elle, et c’est à peine si elle prononce dans son récit le nom d’un homme qui a été publiquement son amant.

— Et ce nom, m’écriai-je comme frappée d’une soudaine clarté, et ce nom, c’est celui de M. de Cerny, n’est-ce pas ?

« Le médecin baissa les yeux, et me répondit en homme qui croit avoir été trop loin dans ses confidences.

« — J’ai cru devoir vous prévenir que vous l’y rencontreriez.