Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/29

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Paraçou-Râma ; ensuite, une lutte des envahisseurs septentrionaux contre les naturels barbares de la péninsule, lutte qui fait l’objet du Râmâyana et qui rappelle celle des cités helléniques contre les Perses, telle qu’Eschyle et Hérodote l’ont célébrée; enfin, une rivalité des tribus victorieuses entre elles, qui a été chantée dans le Mahâbhârata et qui n’est pas sans analogie avec la guerre du Péloponèse.

Mais, en dépit de ces rapprochements, un abîme sépare l’esprit indien et l’esprit grec. Pour les Grecs, tout était réel, concret, vivant ; ils poursuivaient avec ardeur les jouissances terrestres, ils admiraient l’art, ils souffraient pour la liberté, ils mouraient pour la patrie ; le présent était à leurs yeux un domaine étroit, mais solide, qu’ils s’efforçaient d’agrandir et d’orner. Pour les Indiens, cette vie n’était qu’un rêve, cet univers qu’une illusion : dédaigneux des faits, haïssant la matière, ils s’absorbaient en leur pensée et n’aspiraient qu’à rentrer au plus vite dans ce gouffre de l’éternité dont ils ne se croyaient, échappés que pour un moment. Aussi, parmi eux ni politique, ni éloquence, ni histoire : l’abstrait, l’invisible, l’immuable, voilà leur Muse. Tels ils étaient devenus, à mesure que l’opulence et la sûre possession du sol leur avaient ménagé des loisirs ; tels ils étaient encore, quand l’expédition d’Alexandre les révéla au reste, du monde.

Comment Strabon nous les dépeint-il d’après Mégasthènes ? Comme des hommes qui ne parlent que des secrets de la vie et de la mort, qui ne voient dans cette existence qu’une préparation à l’autre, que l’épanouissement d’une destinée nouvelle et impérissable. Le bien et le mal ne sont rien à leur sens : non pas qu’ils ne les distinguent et ne les subordonnent l’un à l’autre, ainsi que le prouvent leurs codes et leurs poëmes ; mais le plus grand bien et le plus grand mal ne leur semblent que de pures chimères à côté de la vérité éternelle. Ne leur demandez ni ambition, ni désir de s’illustrer, ni patriotisme ; ils ne connaissent que l’abnégation et l’extase. Ce fut une nation de contemplateurs et de philosophes. Dans