Page:Soupé - Études sur la littérature sanscrite.djvu/98

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pour expliquer un fait, fort bizarre à nos yeux, mais que l’histoire nous montre très-fréquemment dans l’antiquité. Si la polygamie a été et est encore une des lois sociales d’une partie de l’univers, la coutume de la polyandrie nous est indiquée chez les Scythes nomades par Hérodote ; chez les tribus de l’Arabie-Heureuse par Strabon, chez les Spartiates par Xénophon et Polybe, chez les Bretons d’Angleterre par Jules-César, chez les Naïrs du Malabar par Camoëns, chez les habitants du Décan, du Boutan, des montagnes de Kachmir et de l’Himalaya, ou même aux îles Canaries au XVe siècle, par divers voyageurs. Aucune défaveur ne doit en résulter pour l’héroïne qui, docile et soumise, quoique fille de roi, ne soupçonnant pas la haute origine de ces inconnus, partage leur humble chaumière, leur frugale nourriture, et dort à terre sur une couche d’herbes, entre sa belle-mère Kountî et ses cinq fiancés, qui ne sauraient être pourtant des personnages vulgaires, puisqu’ils ne s’entretiennent que de chars et d’éléphants, de haches et de massues, de batailles et de conquêtes. Le dieu Krishna lui-même vient les visiter et leur promettre mille grâces, et le prince Dhrichtadyoumna, qui les a suivis et épiés, se hâte d’aller raconter à son père Draupadâ que sa sœur est en de dignes mains, qu’elle a cinq époux, évidemment de bonne souche et d’un rare mérite, et qu’il n’a plus à gémir de l’avoir vue emmener par des étrangers sans naissance et sans renom.

Nous avons resserré à dessein dans des limites étroites l’action de ce chant si long et si compliqué : nous y avons néanmoins puisé de nombreux détails, parce qu’en outre de la richesse des tableaux qu’il renferme, il constitue l’exposition développée de tout le poëme, la base solide de ce monument colossal. Encore a-t-il fallu sacrifier plus d’une scène accessoire, plus d’une légende épisodique ; telle est celle de Sunda et Upasunda, qui a passé dans les apologues de l’Hitopadésa. C’étaient deux daïtyas ou démons jumeaux, unis fraternellement ; leur vie de mortification plut tellement à Brahma, qu’il