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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/147

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À CÔTÉ DU PARNASSE

tomber cette boutade : qu’il est absurde d’être amoureux passé dix-sept ans. Le Maître, pour qui l’amour ne connaît pas de limite d’âge, relance la balle : « J’aimerais entendre, Banville, les arguments que vous pourrez trouver pour nous démontrer votre extravagante théorie. — Alors, dit G. Moore, Banville parla vingt minutes. Il lançait des phrases ailées qui montaient, planaient, tourbillonnaient, se chassant l’une l’autre comme des oiseaux divins pour qui voler est un jeu, cependant que nous, retenant nos souffles, guettions leurs vols hasardeux, heureux enfin quand l’une d’elles, avec un grand murmure de plumes reployées, touchant un point d’arrêt, s’y perchait, immobile[1] ». L’image est jolie, mais nous aimerions mieux la sténographie d’une de ces pensées. En voici une : c’est à la représentation de La Pomme, au Théâtre Français, en 1865 ; songeant à l’Exilé, et regrettant son absence, tout à coup Banville dit à Coquelin que Hugo, s’envolant de Guernesey, est venu visiblement planer dans la salle ; se grisant de son idée, Banville voit Hugo se poser dans un fauteuil d’orchestre, entre Théophile Gautier et Paul de Saint-Victor. Les auditeurs se laissent halluciner… à moitié[2].

Cette griserie, à la longue, est épuisante. Banville est trop beau causeur ; il verse dans sa conversation la moitié de son talent. Leconte de Lisle se dépense moins, et possède des réserves de pensée : il a plus de poids, plus d’autorité ; son influence sur le groupe parnassien grandit chaque jour, au détriment de celle de Banville[3].

§ 5. — L’école de Banville

Cette déchéance tient probablement à ceci : à fréquenter Banville on observe vite une sensible disproportion entre sa réputation et sa valeur. Journaliste, il a une trop bonne presse. Causeur merveilleux, il jette de la poudre aux yeux. Jouant sur sa « lyre » une musique d’opéra-comique ou d’opérette, il est facile à comprendre, mais creux. Ces prestiges peuvent attirer, mais non retenir.

Il a aussi des qualités, et ce serait un parti pris ridicule que de ne pas les reconnaître. Excellent homme, il a beaucoup d’amis.

  1. G. Moore, Mémoires, p. viii.
  2. Bergerat, Souvenirs, I, 96.
  3. Ricard, Le Petit Temps, Ier juillet 1899 ; J. Charpentier, Th. de Banville, p. 107.