Aller au contenu

Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
200
HISTOIRE DU PARNASSE

= Bhagavat = Çakia-Mouni = le Bouddah : M. Elsenberg va nous aider à résoudre cette équation : quand Leconte de Lisle parle de la Mâyâ, ce n’est pas L’illusion Brahmanique qu’il sous-entend, mais L’Avidya des bouddhistes, c’est-à-dire le pur néant[1].

Ce n’est donc pas un problème de métaphysique qui est en jeu, mais bien une question morale, et qui touche au Nirvana. Leconte de Lisle veut chercher dans l’impassibilité hindoue un refuge à sa tristesse, à ses déceptions[2]. Volontiers il dirait, à peu près comme son ami Baudelaire :


Bhagavat ! prends pitié de ma longue misère.


Qu’est-ce donc au juste que le Nirvana ? Burnouf reproduit la définition qu’en donnait Çakia-Mouni, et reconnaît franchement que c’est « un pur galimatias philosophique : beaucoup de mots pour peu d’idées » ; que ce mot a le sens d’extinction, de feu qui s’éteint, et qu’en somme le Nirvâna correspond au vide absolu[3]. Cherchant, avec son bon sens d’occidental à mettre un peu d’ordre dans ce fatras, Burnouf résume lui-même, en quelques lignes qui durent donner un frisson de joie au poète « affranchi », la pure théorie : « le Nirvâna est pour les théistes l’absorption de la vie individuelle en Dieu, et pour les athées l’absorption de cette vie individuelle dans le néant. Mais, pour les uns et pour les autres, le Nirvâna est la délivrance : c’est l’affranchissement suprême[4] ». Voilà la doctrine de salut que Leconte de Lisle va prêcher à ses frères de misère : la douleur provient du désir ; le nirvâna, c’est la mort du désir, donc de la douleur ; pour atteindre au nirvâna il faut renoncer à tout, à la pensée, à l’action[5]. Pour récupérer le bienheureux néant qui était notre lot avant la vie, pour ne pas être exposé à des avatars, pour ne plus entendre le rugissement de la vie éternelle, il suffit de passer du mode de « Pavritti », ou existence, à celui de « Nirvrïtti », ou cessation, repos : alors, dit Burnouf, « l’homme tombe dans le vide absolu, c’est-à-dire est anéanti pour jamais… Ce vide est un bien, quoiqu’il ne soit rien, car hors de là l’homme est condamné à passer éternellement à travers toutes les

  1. Le Sentiment religieux chez L. de Lisle, p. 105, 113, 185, 233.
  2. Jean Dornis, Hommes d’Action, p. 124.
  3. Introduction, p. 516, 518, note 3, 519, 589-590.
  4. Introduction, p. 18.
  5. Gladys Falshaw, conclusion.