Aller au contenu

Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
HISTOIRE DU PARNASSE

qu’une imitation servile de sa manière ? Calmettes lui reproche, au contraire, de n’avoir pas su diriger les jeunes qui le suivaient, de n’avoir pas eu < la force du maître qui s’impose[1] ». On peut laisser de côté ce reproche bizarre : il vient d’un « ami » qui, obliquement, cherche à diminuer Leconte de Lisle. Demanderons-nous son témoignage à Catulle Mendès ? Il a eu sur ce point deux opinions, l’une du vivant de Leconte de Lisle, et l’autre après sa mort. Avant 1894, il salue en lui le bon Maître qui refuse la tyrannie : « Ce qu’il est magnifiquement, il ne prétend pas qu’on le soit. La seule discipline qu’il imposât — c’était la bonne — consistait dans la vénération de l’art, dans le dédain des succès faciles. Il était le bon conseiller des probités littéraires, sans gêner jamais l’élan personnel. Il fut, il est encore notre conscience poétique[2] ». Après l’avoir ainsi flagorné de son vivant, Mendès se rebiffe contre le mort, mais avec prudence ; il biaise, en entremêlant d’éloges ses réserves ; il s’arrange pour que la réserve fasse oublier l’éloge : « il a été, il faut bien le dire, un guide et un conseiller redoutable. En ma religieuse admiration, j’ai pensé autrement jadis ; j’ai cru sincèrement que nos esprits restaient libres sous sa loi ; je pense que je me trompais. Si ses conseils furent excellents en ce qui concerne la discipline de l’art et le respect de la beauté, il n’en faut pas moins reconnaître aujourd’hui que le joug de son génie (que certes, il ne songeait pas à nous imposer, mais que nous subissions en notre émerveillement juvénile de son verbe) nous fut assez dur et étroit[3] ». Ce n’était donc pas jadis une dévote admiration, mais un fanatisme calculé, et maintenant c’est le coup de pied de Pégase…

Catulle Mendès est obligé, quoi qu’il en ait, de reconnaître que « tous ses disciples… gardent fièrement sa noble discipline technique[4] ». Celui qui se contredit ainsi dans ses dépositions n’est qu’un faux témoin. Dans le cénacle parnassien il y a au moins un Judas ; il y en a même deux, et le second c’est Anatole France : « une des choses, dit-il, qui me semblent le plus échapper sur la terre à la certitude humaine, c’est la qualité d’un vers. J’en fais une affaire de goût et de sentiment. Je ne croirai jamais qu’il y ait rien d’absolu à cet égard. M. Leconte de Lisle le croit[5] ». Oui,

  1. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 214.
  2. La Légende du Parnasse, p. 226.
  3. Rapport, p. 101-102.
  4. Ibid., p. 102.
  5. La Vie littéraire, I, 100.