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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/344

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HISTOIRE DU PARNASSE

des Parnassiens ; en lui survivra longtemps un reflet de 1830. Il gardera, jusqu’au bout, le culte d’A. de Vigny[1]. Il descendra, en fait de romantisme, jusqu’aux excentricités de Petrus Borel : dans Jamais, un amant repoussé implore la jeune fille qu’il aime, et qui va mourir ; elle lui répond, trois fois ; jamais ! Il renouvelle sa prière au cadavre :


Et j’achevais à peine un geste qui l’implore,
Que je vis remuer cette bouche incolore
Et dans le monde atroce où je me rabîmais,
Une voix sans nom dit : « Jamais ! jamais ! jamais ![2]


En 1858, ses Aspirations poétiques sont encore d’un disciple de Musset, de Lamartine, et surtout de V. Hugo ; il loue celui qui a,


… Relevant l’impure courtisane,
Replacé sur son front l’éclair de chasteté,
Et lancé dans les airs, comme l’aigle qui plane,
Un laquais qui rugit dans son austérité.


Il est difficile d’être plus bousingot ; Dierx a bien des progrès à faire, et il en a conscience ; il renie ce recueil, et ne l’admet pas dans ses œuvres complètes[3]. Ce parnassien revient donc de loin, et trouve son chemin de Damas sur la route que suit Leconte de Lisle. Tous deux compatriotes de la même petite patrie, ils ont entre eux de telles affinités que Dierx ressemble physiquement à Leconte de Lisle, et tâche pieusement d’augmenter la ressemblance. Leconte de Lisle l’estime, mais Dierx l’aime avec une piété filiale, avec une tendresse que ne peut altérer l’amer sentiment de son infériorité artistique, d’autant plus douloureux qu’il parle la même langue, mais moins expressive ; il voudrait exécuter les mêmes airs, mais c’est comme un violon aux cordes détendues qui essayerait de jouer à l’unisson avec un grand violoncelle. N’importe ; il aime l’auteur du Manchy, respect, avec une admiration infinie[4]. Il dédie son œuvre « à son cher et vénéré Maître Leconte de Lisle ». Fidélité plus méritoire encore, il défend sa mémoire : il loue la bonté de l’ami mort[5].

Dierx connaissait, mieux que bien d’autres, le de Lisle intime, celui qui pensait librement devant lui : tous deux étaient libéraux,

  1. Poésies Posthumes, p. 1-2.
  2. Œuvres, II, 211-219.
  3. Noulet, p. 47 sqq.
  4. Calmettes, p. 151, 156.
  5. Bergerat, Souvenirs, I, 154.