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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/345

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LE PARNASSE

républicains, libres penseurs[1]. Avaient-ils spontanément les mêmes opinions, ou bien la pensée de Leconte de Lisle, plus puissante, avait-elle courbé celle de Dierx dans son propre sens ? Je ne sais. La théorie du Maître sur l’expression impersonnelle des sentiments individuels a-t-elle gêné et gâté le disciple, en réduisant Dierx à créer en lui-même une âme factice, comme le prétend Calmettes[2] ? Il faut se défier de Calmettes. Coppée, plus franc, défend l’originalité du disciple préféré par Leconte de Lisle : « ce serait une grossière erreur de le considérer comme un simple élève, comme un imitateur soumis. Van Dyck est sorti de l’atelier de Rubens, mais il est un artiste tout autre que Rubens. Chez les deux poètes créoles l’inspiration a la même hauteur, la même sévérité ; mais, plus amère chez Leconte de Lisle, elle est, chez Dierx, plus mélancolique[3] ».

Il ne faudrait pas prendre trop au pied de la lettre la charmante modestie avec laquelle, à l’inauguration du musée qui porte son nom à l’île de la Réunion, Léon Dierx parla, en 1891, de son rôle et de son rang au Parnasse : « je ne suis qu’un fervent de la poésie, d’une notoriété fort restreinte, qu’un humble disciple de celui qui porte si magnifiquement et si haut le sceptre idéal que V. Hugo lui a passé[4] ». Les connaisseurs remarquent, au contraire, l’originalité de Dierx quand, non plus élève mais émule de Leconte de Lisle, il veut chanter comme lui le charme de leur terre natale : tandis que l’auteur de La Ravine Saint-Gilles dessine et peint les formes, Dierx rend la beauté musicale du même paysage, le souffle des vents et la voix de la mer, auxquels répondent les échos des montagnes, toutes les mélodies de la terre, de l’océan, et du ciel, qui se fondent dans une symphonie digne de Hugo ; comme l’a si bien dit là-bas M. H. Foucque, « Dierx a été le poète de l’harmonie bourbonienne[5] ». Si, de cet ensemble, on descend aux détails, l’indépendance du disciple est tout aussi facile à prouver. Il y a des ressemblances entre La tête de Henwarc’h et La Femme du Chef ? Pourtant Dierx n’a rien emprunté à Leconte de Lisle, mais tous deux ont puisé à la même source, les Poèmes des Bardes bretons de 5.

  1. Calmettes, p. 151 ; Dierx, I, 16, 112-119.
  2. Leconte de Lisle et ses Amis, p. 187.
  3. Mon Franc-Parler, III, 88.
  4. Noulet, Léon Dierx, p. 125, p. 16.
  5. Barquissau, etc., l’Île de la Réunion, p. 122-123.