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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/348

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HISTOIRE DU PARNASSE

La pièce, telle qu’elle figure au Parnasse, est déjà parfaite, avec ce long gémissement de l’Angelus qui tinte du début à la fin, cependant que chaque vers finissant a son écho au début du vers suivant, sans que jamais on sente la manière, le procédé : la nature elle aussi se répète, et ses échos réels sont émouvants.

Il est inutile d’étudier minutieusement ses envois aux deux autres Parnasses de 1869 et de 1876, puisque, sauf une pièce assez insignifiante, À une Créole, tous ces poèmes ont été reproduits dans l’édition de 1894[1]. Plaçons-nous donc devant son œuvre complet, et jugeons-le. Ce n’est point par le fond qu’il vaut surtout, ni par ses poésies historiques genre Leconte de Lisle ; on a relevé dans son poème égyptien Souré-Ha toutes sortes d’erreurs qui contristeraient un égyptologue : des obélisques en marbre, une tiare en or, des caïmans dans le Nil, etc.[2]. Défaut plus grave aux yeux des lettrés, le sens des symboles lui manque : il s’en sert, mais avec une certaine gaucherie[3]. Sa pensée directe vaudrait mieux, étant forte, si derrière son pessimisme n’apparaissait pas un véritable nihilisme, allant jusqu’à la haine de la vie[4]. De pareilles idées ne conviennent qu’à l’éloquence virile d’une Ackermann ; le talent féminin de Dierx a peine à supporter le plan d’un long poème, comme si une armature métallique trop faible, laissait gauchir une ébauche en argile. Son Hemrick le Veuf donne l’impression qu’il y a là simplement une nouvelle, mal modelée, et qu’un Paul Bourget en eût fait une merveille en prose, le sujet étant beau, mais trop lourd pour l’art un peu mièvre de Dierx[5]. Il n’a su en tirer qu’un conte fantastique à la Hoffmann. Rien n’est plus fâcheux, pour une réputation littéraire, que de manquer un beau sujet ; cela donne une impression de médiocrité. Son chef-d’œuvre, dit-on, est son Lazare[6]. Certes, le sujet est bon ; mais quel parti en a-t-il tiré ? Son Lazare erre au milieu des vivants qu’il épouvante par sa stupeur, muet, enviant les morts ; et c’est tout. Il ne recherche plus le Christ, il s’en éloigne ; il n’a donc rien à dire à Celui qui seul peut causer avec lui, et le comprendre ? Dierx le représente souhaitant uniquement une seconde mort. Le poète est passé à côté de la scène

  1. Parnasse de 1876, p. 103.
  2. Noulet, p. 127-128.
  3. Œuvres, I, 11-13 ; II, 135-136, 150.
  4. Calmettes, p. 155.
  5. Œuvres, I, 89 sqq.
  6. Œuvres, I, 127-129.