Aller au contenu

Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
285
LE PARNASSE

à faire, comme disait Sarcey. On pouvait le montrer marchant vers les Juifs qui, de loin, le menacent, pour obtenir la mort de leurs mains ; ou encore il fallait le mêler à l’apparition des morts, le jour du Vendredi-Saint. En un mot, comment Dierx a-t-il oublié l’Évangile, et abandonné ce magnifique sujet à Louis Mercier, qui en a tiré un poème auprès duquel celui de Dierx paraît bien faible[1] ?

Évidemment son vers est supérieur à celui de Mercier, mais cela justifie la restriction de Remy de Gourmont : que l’originalité de Dierx repose sur l’expression de la pensée plutôt que sur la pensée même[2]. Cette réserve admise, et on ne peut pas ne pas l’admettre, il faut par contre reconnaître que chez lui le métier, la « patte », sont de première qualité. Croyons-en un spécialiste : « le vers de Leconte de Lisle, c’est la perfection dans la force, dit Coppée ; celui de Dierx, moins puissant à coup sûr, mais d’une liberté, d’une souplesse admirables, c’est une musique enchanteresse[3] ». En effet, nous trouvons chez lui, beaucoup plus souvent que chez son maître, tous les procédés d’assouplissement du vers, l’enjambement, le rejet pour lequel il a une vraie prédilection :


Hommes des jours lointains, mais promis aux tortures
Anciennes[4] !


Il aime ce procédé jusqu’à l’exagération. Il le multiplie plus encore que ne l’avaient fait les petits romantiques[5]. Il cherche les habiletés subtiles, les secrets de fabrication qu’a mis à la mode l’abbé Delille, trop moqué par ses successeurs ; il recherche les effets d’harmonie imitative par l’allitération :


Âme de l’homme, écoute en frémissant comme elle,
L’âme immense du monde autour de toi frémir I
Ensemble frémissez d’une douleur jumelle[6].


On ne demanderait pas mieux que de remarquer, en passant, le procédé ; mais il est dangereux, car il excite l’ingéniosité des commentateurs ; l’un d’eux observe gravement que dans ces vers « domine l’m, expressif d’immensité[7] » ; et voilà notre plaisir gâté.

  1. Lazare le Ressuscité, Calmann-Lévy, 1924.
  2. Promenades, V, 55.
  3. Mon Franc-Parler, III, 89.
  4. Œuvres, I, 142.
  5. Œuvres, I, 191-193.
  6. Œuvres, I, 170.
  7. Noulet, Léon Dierx, p. 216.