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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/413

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LE DISPERSION

a la forme d’un decrescendo. On lui fait fête d’abord : Théophile Gautier, dans ce Rapport où il ne consacre que dix lignes à Baudelaire ; accorde au débutant deux pages et demie, le détache de la troupe, le met à part, lui prédit le premier rang parmi les nouveaux venus[1]. Catulle Mendès est lyrique : « alcyon qui aurait une envergure d’aigle… Ô belle œuvre où abondent les chefs-d’œuvre[2] ! » E. Grenier est plein d’amabilité[3]. D’autres encore applaudissent, et lui resteront fidèles jusqu’au bout : Lafenestre, Coppée, Jules Breton, André Lemoyne, même Albert Mérat, si aigri qu’il soit[4]. Chez d’autres, les réserves apparaissent à côté des éloges : X. de Ricard reconnaît que Sully Prudhomme a bien su rendre les angoisses d’un esprit contemplatif, mais ajoute qu’il s’est perdu dans le genre didactique, et qu’il a faussé le vers[5] !

Serait-il donc au Parnasse, comme on l’a prétendu, un intrus et un fourvoyé[6] ? C’est probablement le sentiment de Leconte de Lisle qui l’excommunie, en ces termes brefs : « Il n’est pas de la maison[7] ». Allait-il plus loin, et osait-il vraiment déclarer que « Sully Prudhomme était dépourvu de toute espèce de talent ? » Quelqu’un, qui ne l’aimait pas, lui a prêté ce mot[8]. Contentons-nous de l’excommunication, qui est certaine, et qui a été expliquée par Heredia : « Sully Prudhomme est celui de nous tous qui rime le plus richement, mais on ne s’en aperçoit pas. C’est que la rime n’est pas seulement le choc de deux syllabes, c’est le choc de deux idées[9] ». En d’autres termes, on lui reproche de mettre en fin de vers non pas les mots de valeur, mais les moins expressifs des vocables : « c’est ce qui fait, conclut Heredia, que sa poésie est banale[10]. » Et donc, il n’est pas de la maison. La maison lui déplaît. Les mœurs parnassiennes ne lui ont jamais plu. Déjà chez Mme de Ricard, il trouvait le milieu bien turbulent[11]. Au passage Choiseul sa courtoisie détonait. Le fin psychologue

  1. Rapport, p. 364-367.
  2. Rapport, p. 124.
  3. Revue, 1921, p. 584-585.
  4. Lya Berger, Débats du 7 septembre 1927.
  5. Petit Temps du 5 juillet 1859.
  6. Henri Morice, La Poésie de Sully Prudhomme, p. 335-350.
  7. X. de Ricard, Revue (des Revues), février 1902, p. 304 ; Walch, Anthologie, I, 304 ; Clouard, La Poésie française moderne, p. 54.
  8. Schuré, Revue (des Revues), Ier mai 1910, p. 28.
  9. Poizat, Le Symbolisme, p. 75 ; Classicisme et Catholicisme, p. 145-146.
  10. Albalat, Revue Hebdomadaire du 4 octobre 1919, p. 56-57.
  11. Petit Temps du 5 juillet 1899.