Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/464

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
400
HISTOIRE DU PARNASSE

Il fit mieux : il se décida un jour, dans un effort méritoire, à rendre justice même à Leconte de Lisle, « le grand poète qui fut, plus encore peut-être que Banville, et pour le moins autant que Baudelaire, le maître de toute une génération — la mienne ! — de vrais poètes[1] ».


CHAPITRE VI
Mallarmé
« Aidons l’hydre à vider son brouillard. »
(Divagations)

Vers 1864, Catulle Mendès avait vu arriver chez lui un très jeune homme timide qui lui était adressé par E. des Essarts, et qui lui soumettait des poèmes, Les Fenêtres, Les Fleurs, Le Guignon, L’Azur, « miracles de rêve, de sensibilité, de charme et d’art[2] ».

Le débutant est visiblement sous l’influence de Baudelaire[3]. Il consacre à son premier maître deux pages de premier ordre, des plus belles qu’on ait écrites sur l’auteur des Fleurs du Mal[4]. Il le range dans la trinité des maîtres « inaccessibles » dont la beauté le désespère… Th. Gautier en est, et l’aide à lutter contre la laideur de la réalité : l’emprise de cette perfection plastique sur Mallarmé est telle que son enthousiasme va jusqu’à l’émotion physique : « je lis les vers de Théophile Gautier aux pieds de la Vénus éternelle… Au bord de mes yeux calmes s’amasse une larme dont les diamants primitifs n’atteignent pas la noblesse : — est-ce un pleur d’exquise volupté ? Ou, peut-être, tout ce qu’il y avait de divin et d’extra-terrestre en moi a-t-il été appelé comme un parfum par cette lecture trop sublime[5] ? » Il se sent plus à son aise quand il fréquente le troisième des maîtres inaccessibles, Théodore de Ban-

  1. Œuvres, V, p. 339.
  2. Rapport, pp. 135-136.
  3. R. de Gourmont, Promenades, IV, p. 10 ; Edmond Jaloux, Revue Hebdomadaire, juillet 1921, pp. 70-71 ; Kahn, Premiers Poèmes, p. 20 ; Lemonnier, Edgar Poe, p. 310-315 ; Poizat, Le Symbolisme, p. 76 ; Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé, p. 32-33.
  4. Thibaudet, pp. 36-37.
  5. Montel, Bulletin du Bibliophile, 1926, p. 33 sqq. ; Revue, 1928, p. 643.