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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/519

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LA PERSISTANCE DU PARNASSE

Morice le compare à Moréas, et reconnaît que, s’il lui est inférieur en harmonie, il a « des ressources cérébrales plus nombreuses[1] ». Pour Morice, H. de Régnier est le second dans l’École Symboliste, et le premier d’après Remy de Gourmont[2]. Or, peu à peu, ce symboliste de premier rang quitte le vers libre pour revenir au vrai vers. Le premier qui s’en soit aperçu, c’est Catulle Mendès, et Remy de Gourmont a confirmé cette remarque[3]. C’est bien ce que reconnaît M. de Régnier lui-même : il déclare publiquement que le symbolisme n’est qu’une transition, à la grande colère de M. Gustave Kahn qui traduit la rage des symbolistes abandonnés[4]. Va-t-il faire amende honorable devant Leconte de Lisle, et pratiquer la stricte observance ? Non, certes ; il conserve sa liberté, et son droit d’admirer la beauté partout où il la découvre. Si nous prenons son dernier recueil, Flamma tenax, nous voyons qu’il aime le divin Racine, en lisant des tercets où il évoque à la fois la mémoire d’une tendresse et le souvenir d’une belle journée :


Je pense à vous ; je pense à moi. Je lis Racine,
Parce qu’un vers de lui, parfois serre le cœur
D’une angoisse et d’un mal dont la joie est voisine.


Tout en aimant Racine, il n’est pas racinien au sens exclusif du mot. Il fait des incursions dans la poésie galante du XVIIe siècle. Voiture eût trouvée jolie l’Apostrophe d’Adraste à Éroxène. Puis, en relisant Victor Hugo, il rêve sur un vers de Ruy Blas :


Médina, fou d’amour, emplit Naples d’esclandres…


De là, il passe à Banville, et s’amuse à recommencer ses rimes insolentes :


Une mule en passant me frôle presque au coude ;
L’homme qui la conduit est du Guipuzcoa ;
Il écoute, sournois, le bruit qu’en l’écho a
Le quadruple sabot[5]


H. de Régnier entre donc pour ainsi dire au Parnasse, mais non pas comme dans une prison. Il renonce aux assonances d’au-

  1. Huret, Enquête, p. 89.
  2. Le Problème du Style, p. 164.
  3. Rapport, p. 169 ; Le Problème du Style, p. 164 ; cf. Porché, L’Évolution Poétique de H. de Régnier, dans le Mercure de France du Ier août 1928, p. 513.
  4. Huret, p. 281-282, 91-92, 396, 401-402 ; cf. H. de Régnier, Proses datées, p. 5-20.
  5. Flamma Tenax, p. 108. — Cf. Revue de France, 15 août 1929, p. 733 sqq.