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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/88

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HISTOIRE DU PARNASSE

nous traitait avec une bienveillance endormie[1] ». En réalité, il s’en allait peu à peu, de tristesse et de gêne, malgré les efforts de ses éditeurs pour le tirer d’embarras[2].

Pourtant il fait encore un effort, et, dans Le Parnasse Contemporain de 1866, il publie à la place d’honneur, en tête du volume. Le Bédouin et la Mer, Le Lion de l’Atlas, La Marguerite, une traduction de l’ode d’Horace à Sextius, et cette élégie exquise, Le Banc de pierre[3]. Grâce au Banc et à Sextius, l’apport de Gautier est honorable ; le reste a été pris aux fonds de tiroir.

Théo se complaît à feuilleter le volume ; il constate avec quelque fierté que les jeunes poètes continuent, comme Sully-Prudhomme et Coppée, à manier le mètre des Émaux et Camées : sur les deux cents pièces du Parnasse, vingt-et-une sont écrites en quatrains de vers de huit pieds. Le vieux maître est content de ses apprentis, et manifeste sa satisfaction dans son Rapport de 1868[4]. Il est aimable pour le livre, « cette anthologie où chaque talent a mis sa fleur ». Au fond, il est très flatté qu’on lui ait fait là une place, une belle place : « dans ce bouquet printanier, quelques roses d’antan ont été admises, puisque nous y figurons en compagnie d’Émile et d’Antoni Deschamps ; mais ce n’est là qu’une marque de bon souvenir de jeunes débutants aux jeux du cirque pour de vieux athlètes qui feraient peut-être bien de déposer leur ceste comme Entelle[5] ». La formule est pleine de modestie ; mais le vieux lutteur utilise le reste de ses forces en faisant à la nouvelle école une réclame, très nécessaire. Les Parnassiens étaient si peu connus qu’Asselineau, faisant un article sur ce Rapport, en démontre l’utilité par l’ignorance surprenante qu’il manifeste à propos de l’œuvre de Leconte de Lisle, et de Banville[6].

Malheureusement pour le Parnasse, ce Rapport est une déception. Il est quelconque. La prose ne réussit plus au poète. Son imagination est appauvrie, et sa mémoire fléchit : il dit de Catulle Mendès : « il s’est calmé et a mis, comme on dit, de l’eau dans son vin ; mais cette eau est de l’eau du Gange. Quelques gouttes du fleuve sacré ont suffi pour éteindre dans la coupe du poète le pétille-

  1. Souvenirs, p. 245.
  2. Dreyfous, Ce que je tiens à dire, p. 284 sqq.
  3. Poésies, II, 222 ; cf. Judith Gautier, Revue de Paris, Ier mai 1903, p. 183.
  4. Sur ce Rapport, cf. de Spœlberch, Histoire, II, 358.
  5. Rapport, p. 359.
  6. Bulletin du Bibliophile, 1868, p. 300-301.