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AVANT LE PARNASSE

ment gazeux du vin de champagne ». L’image est plutôt bizarre, et le lecteur, qui ne peut pas l’oublier, est surpris de la retrouver, quinze pages plus loin, consacrée cette fois au talent d’E. des Essarts : « une goutte de vieux nectar mythologique tombe parfois au fond du verre à vin de Champagne, et en empêche le pétillement trop vif[1] ». N’importe, c’est signé : Théophile Gautier, et la signature est encore prestigieuse. Les Parnassiens les plus illustres trouvent que ce Rapport est comme une série de citations à l’ordre du jour. Beaucoup plus tard, Théodore de Banville reprend le passage qui lui est consacré, et le met en tête de la nouvelle édition de ses Exilés[2].

Théophile Gautier apparaît encore au Parnasse de 1869, mais cette fois c’est L. de Lisle qui figure en première page, et Théo n’arrive plus que trente-septième sur la liste. Pourtant, c’est dans cet envoi que se trouve le chef-d’œuvre parnassien, L’Impassible. Mais il y a à côté un fragment de poème inédit, une Marine, qui n’a rien de merveilleux : avec son mélange de Virgile et de Byron, on dirait une pièce jadis jetée au rebut, que le poète a ramassée, uir peu rabotée, et envoyée avec un sourire ironique : ce sera toujours assez bon pour eux. De même pour le sonnet : Un ange chez moi vient parfois le soir…

C’est un spécimen de la poésie sensuelle des romantiques où, parfois, de façon bien gênante, ils introduisaient le Ciel là où il n’a que faire. Enfin, est-ce une dérision ? Au moment où l’École parnassienne voudrait faire croire qu’elle tourne à l’École d’Athènes, Gautier, narquois, lui offre ce sonnet au rythme moqueur :


J’aimais autrefois la forme païenne,
Je m’étais créé, fou d’antiquité,
Un blanc idéal de marbre sculpté
D’hétaïre grecque ou milésienne.

Maintenant j’adore une Italienne,
Un type accompli de modernité,
Qui met des gilets, fume et prend du thé,
Et qu’on croit Anglaise ou Parisienne.

L’amour de mon marbre a fait un pastel,
Les yeux blancs ont pris des tons de turquoise,
La lèvre a rougi comme une framboise[3]


  1. Rapport, p. 362, 376-377.
  2. De Spœlberch, Histoire, II, 358.
  3. Parnasse de 1869, p. 262 ;