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Page:Souriau - Histoire du Parnasse, 1929.djvu/90

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HISTOIRE DU PARNASSE

Maintenant on comprend pourquoi le Parnasse, tout en ne voulant pas refuser un hors-concours, ne lui a pas accordé la cimaise. Ils ont tout l’air d’être de l’avis de des Esseintes qui « aimait encore les œuvres de ce poète, ainsi qu’il aimait les pierres rares, les matières précieuses et mortes ; mais aucune des variations de ce parfait instrumentiste ne pouvait plus l’extasier, car aucune n’était ductile au rêve[1] ». Pourtant, ils lui restent reconnaissants. En 1872, ils préparent un livre collectif, dédié à sa mémoire, et Mendès demande à Coppée de célébrer « la tendresse si souvent niée à Gautier[2] ». N’importe : le sceptre était tombé de sa main défaillante ; ce n’est pas Baudelaire qui l’a ramassé.


CHAPITRE II

Baudelaire

Il ne s’agit pas ici d’une étude générale sur l’auteur des Fleurs du Mal ; nous voulons uniquement marquer la place de Baudelaire dans l’évolution de la poésie française, du Romantisme au Parnasse, place à part, tout à fait à part, à cause de l’étrangeté de sa physionomie et de son talent[3] ; espèce de fantôme sinistre, prisonnier du rôle qu’il a voulu jouer, victime de ses propres mystifications ; malgré la grandeur de sa situation littéraire, il n’occupe pas le rang qu’aurait mérité son génie, de par sa faute :


…Ce noir passant aux yeux de mauvais ange,
Si beau dans sa détresse et dans sa pauvreté,
Apportait avec lui, par un prestige étrange,
Comme une odeur de gloire et d’immortalité[4].

Il a passé par le romantisme, et ne s’y est pas arrêté ; mais il s’y est gâté ; il a gagné là, pour toute sa vie, une maladie d’orgueil aiguë et chronique : à un directeur de revue qui lui demande, par

  1. Huysmans, À rebours, p. 251.
  2. Monval, Revue de Paris, Ier mars 1909, p. 85.
  3. Arsène Houssaye, Confessions, II, 250 ; Banville, La Lanterne magique, pp. 282-283.
  4. Henri de Régnier, Flamma tenax, p. 168. Sur le tort que Baudelaire aimait à se faire
    à lui-même, cf. P. Dufay, Poulet-Malassis à Bruxelles, dans le Mercure de France
    du 15 novembre 1928, p. 44 ; Baudelairiana, pp. 301-302.