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À LA COUR DE GASTON PHŒBUS.

Chevalier et politique, capitaine et troubadour, administrateur et bel-esprit, Gaston Phœbus, avec ses vices et ses vertus, avec ses faiblesses et ses grandeurs, avec ses ombres et ses clartés, est le type le plus complet et le plus attachant du prince féodal. Il représente le moyen âge, il le résume, il le personnifie ; il en a toutes les bizarreries et toutes les contradictions. Il allie le culte de la force au culte de l’esprit ; il tue le matin, et, le soir, il rime une chanson d’amour : l’élégie le distrait et le soulage du meurtre ; n’est-ce pas bien là l’homme féodal ? Des actions violentes, des sentiments raffinés ! D’où vient cette antithèse ? De notre nature ? Non. De la société ? Je le crois.

La féodalité, en effet, est née de la force, de la conquête. La force l’a faite ; elle ne peut vivre et se soutenir que par la force.

Le droit avait bien réussi à s’asseoir, tant bien que mal, dans cette organisation brutale et grossière ; mais il y était resté, impuissant et dérisoire ; il essayait bien de tenir une balance, mais l’épée, la lourde épée du suzerain ou du grand feudataire pesait toujours sur un des plateaux ; et c’était, en définitive, la force qui décidait.

L’homme féodal, le seigneur, si haut ou si bas qu’il fût placé dans la hiérarchie sociale, était donc, par la nature des choses, condamné à l’exercice de droit du plus fort, à la violence.

Il la comprenait à de certains moments, et il en souffrait. Il se sentait mauvais, il s’effrayait de son pouvoir et de lui-même. En dépit de l’étour-