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FROISSART

dissement d’une vie tumultueuse, il s’interrogeait parfois, s’accusait, se condamnait peut-être. Il se voyait encore plus noir et plus sinistre aux heures du repos, dans les longues veillées d’hiver, quand il écoutait la lecture de ces vieux romans de chevalerie, trop décriés plus tard, car ils furent un grave et doux appel à la modération et à l’humanité, et qu’il se comparait à ces types de courage désintéressé et d’honneur inviolable, à ces paladins qui couraient toutes les nobles aventures de la justice et de l’amour, pendant qu’il ne suivait, lui, que les sombres chemins de la convoitise et de la haine.

Placé entre le reproche direct de sa conscience et le reproche indirect, mais plus vivement senti peut-être, que lui adressait l’idéal chevaleresque, il essayait naïvement de polir son âme, comme il polissait son armure, et, ne pouvant adoucir ses actions, il adoucissait son langage, et il raffinait sur les sentiments.

Il continuait à pratiquer la force, et il adorait platoniquement la faiblesse. Il frappait la femme avec son gantelet ; mais, toute meurtrie et presque saignante, il la relevait un instant après, la couvrait de fleurs poétiques, et la faisait reine de l’amour et de la beauté !

Tout le moyen âge guerrier se débat entre cette réalité et cet idéal, entre cet enfer de la vie et ce paradis de l’imagination.

Les hautes intelligences et les hautes situations accusaient plus hautement ce dualisme.