Page:Souvenirs d'enfance de Sophie Kovalewsky.djvu/19

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sophie kovalewsky.

sions, remontant à des époques antérieures, s’en dégagent et en ressortent aussitôt. Je ne distingue même plus l’impression réellement éprouvée par moi, c’est-à-dire réellement « mienne », de celles qui résultent de récits entendus dans mon enfance, et que je m’imagine avoir ressenties, alors, qu’en réalité, je me rappelle seulement les récits qu’on m’en a faits. Je n’arrive même jamais à évoquer aucune de ces impressions primitives dans toute sa netteté, et sans y mêler involontairement un détail étranger, au moment même où ma pensée se concentre sur ce souvenir.

Quoi qu’il en soit, voici l’image qui m’apparaît une des premières, chaque fois que je cherche à me rappeler les premières années de mon existence.

Les cloches sonnent, l’air est parfumé d’encens.. La foule sort de l’église. Ma « Niania » descend le parvis en me tenant la main, et me protège avec soin contre la bousculade.

« Prenez garde à l’enfant », répète-t-elle d’un ton suppliant à ceux qui se pressent autour de nous.

Au sortir de l’église, nous voyons approcher un ami de ma bonne, un diacre ou un sous-diacre, à en juger par sa longue soutane ; il lui offre un pain bénit :

« Mangez-le à votre santé, lui dit-il. Et comment vous nomme-t-on, dites, ma gentille demoiselle ? »

Je me tais, et le regarde avec de grands yeux.

« Quelle honte de ne pas savoir son nom, mademoiselle ! » continue le diacre pour me taquiner.