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Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/11

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Mes deux grandes déceptions d’enfant :

1o) C’est quand j’ai appris que c’étaient de simples mortels qui chantaient en chœur à l’église. Je croyais que c’était le Bon Dieu, la Sainte Vierge, les anges et les saints ;

2o) Quand on m’a dit qu’il fallait payer pour être logé (!)


Un gros crève-cœur

J’avais 6 ans ; une petite sœur de 2 ans que j’aimais venait de mourir ! Ce matin-là, on avait négligé de nous conduire, ma sœur et moi, à l’école.

Nous errions dans le petit logement, tout impressionnées par le grand silence qui succédait à une période d’agitation dont nous n’avions pas démêlé le sens. Dans l’après-midi, nous fûmes menées à l’école. Mes petites camarades goguenardes, méchantes, me déclarèrent que sans moi on avait été bien plus tranquille. Ces paroles me parurent froides et tranchantes comme de l’acier ; je me mis à sangloter éperdument tout en disant : ma petite sœur est morte ! Ce jour-là est peut-être le premier où j’ai senti le douloureux isolement auquel sont vouées les âmes en peine devant l’indifférence et l’incompréhension d’autrui. Peut-être trouvera-t-on étrange ma grande peine causée par des mots aussi banals proférés par des enfants ! L’impression atroce qu’ils me causèrent venait sans doute du contraste entre ma détresse et l’insouciance de mes compagnes… mais aussi de cette constatation inconsciente — qu’on pourrait appeler instinctive — que la méchanceté latente en bien des âmes, commence par faire explosion avant toute réflexion. Une petite fille de six ans ne pense pas à tout ça ; elle le sent confusément et souffre d’autant plus qu’elle ne sait encore rien opposer à ces cruautés qui seront son lot quotidien.