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Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/12

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Un incident de ma Première Communion

Au catéchisme, on nous avait bien recommandé d’avoir des robes montantes. Surtout pas de guimpes transparentes ! Naturellement j’avais transmis la recommandation en insistant beaucoup ; peine inutile, maman en avait décidé autrement. Sous la guimpe, ma robe était décolletée. Arrivée à La Chapelle, l’abbé Coullié, devenu depuis cardinal, m’examine d’un coup d’œil inquisiteur ; puis s’adressant à la personne qui m’accompagnait : « Allez vêtir cette enfant-là », dit-il d’un ton bref et sévère. Je dois dire que je ne ressentis aucune vexation ; je triomphais plutôt, contente de prouver que j’avais eu raison dans mes protestations. Conduite auprès de maman, elle me mit sur les épaules un joli mouchoir orné d’un volant festonné et tuyauté. Ce n’était pas très seyant quand même, mais il fallait bien en passer par là. Seconde mésaventure : à peine installée à ma place, je laisse tomber mon cierge qui se brise ! L’abbé Coullié, cette fois souriant, déclare que « ça ne l’étonnait pas de Mélanie ! » et va me chercher un autre cierge. Troisième mésaventure, beaucoup plus grave. Lorsque j’étais impressionnée, j’avais la fâcheuse habitude de mâchonner mon livre de prières. Au moment de recevoir la sainte communion, une angoisse me saisit à la pensée que j’avais peut-être avalé des petits bouts de papier !… Que de fois cette pensée m’a troublée depuis ! En tout cas, elle m’a gâté en partie la joie de ce beau jour. J’étais très pénétrée de la grandeur du mystère qui allait s’accomplir en moi. Ma foi était parfaite, en dépit des gouailleries de tout mon entourage. En guise de préparation, on m’avait prévenue que j’allais avaler le pain à cacheter. Ma mère s’était ingéniée à me faire très belle. Dans le bas de ma robe un beau volant surmonté d’un « bouillonné » dans lequel on avait passé un ruban de satin donnait du flou et de la légèreté. Ce n’était pas d’ordonnance ; M. Coullié avait laissé passer cette infraction à la simplicité en jupon ! Je ne me rappelle pas bien mon état d’âme. Je crois pourtant que j’étais loin d’être insensible aux suggestions de la coquetterie ; j’aimais ma belle robe, je n’aimais pas mon bonnet noué sous le menton par deux « brides » qui s’épanouissaient en un large nœud. On avait copieusement pommadé mes cheveux rebelles arrangés savamment en un chignon bien serré. J’étais déjà trop disposée à jouir du plaisir d’être trouvée jolie, à tort ou à raison ; il m’était pénible d’être enlaidie ce jour là. Donc je n’étais pas la petite colombe sans tache couvée sous le regard de Dieu, ou plutôt je m’étais déjà dérobée à la sollicitude dont j’avais été l’objet de Sa part. Ne m’avait-il pas attirée à Lui depuis ma petite enfance, alors qu’autour de moi tous s’acharnaient à m’en détourner ? Que n’ai-je mieux compris et apprécié cette grande, cette inappréciable faveur divine ! L’apprécier, oui, mais ne pas s’en glori-