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Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/16

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pérorant sous l’œil narquoisement indulgent de quelques avocats matinaux. Des agents surgissent : Circulez ! dit leur voix sévère, ce qui n’était pas difficile, vu le peu d’encombrement. Mlle D. et moi, nous étions un peu embarrassées de nos personnes : Qu’est-ce qu’on fait pour manifester ?… Ces dames avaient toutes des fleurs à la main ; vite, nous allons à la recherche du petit bouquet d’ordonnance. Puis nous attendons… nous ne savions trop quoi. De temps en temps, un bref « circulez » retentissait de nouveau. Deux gaillards en civil rejoignent les agents ; ils ont l’air important. Enfin un omnibus s’arrête devant le trottoir ; c’étaient elles enfin, les sœurs ! Le moment psychologique était arrivé ! Les manifestantes s’élancent brandissant leur bouquet : Vive les sœurs ! vive les sœurs ! Moi qui ne m’attendais pas à crier vive quelque chose, je nous trouvais l’air « gourde », mon bouquet et moi. Les deux gaillards semblaient avoir pour mission de mettre des entraves à notre ardeur ; ils bousculaient par ci, par là, sans conviction, parce qu’il fallait bien avoir l’air de faire quelque chose. Alors, comme je ne voulais pas non plus être venue pour rien, je jette mon bouquet à la figure de l’un d’eux qui bondit et fulmine — « Mais, Monsieur le passant, de quoi vous plaignez-vous ? On vous jette des fleurs et vous n’êtes pas content ? » Je ramasse mon bouquet. Comme le gaillard no 2 devenait brutal, je le lui lance à la tête ; son chapeau tombe par terre, il me saisit fortement par le bras : « Je vous tiens », dit-il, très irrité. Des passants s’interposent : « Laissez donc Madame tranquille ; tant de bruit pour une si chétive affaire !… » Mais mon bras restait dans l’étau lorsqu’une voix, tout près de nous, dit : « C’est Madame Domange ». Effet magique, l’étau se desserre, je suis libre !… Ne l’ai-je pas un peu regretté ? C’eût été si glorieux d’aller au poste pour avoir défendu l’innocence opprimée ! J’ai toujours pensé que je devais la liberté à la consonance de mon nom se confondant avec celle d’un célèbre avocat… Je n’ai pas eu l’occasion de manifester depuis.

(La Libre Parole relata le lendemain l’incident).


Un mot d’esprit de Maître Dessaigne

Plaidant en faveur d’une agréable dame contre une laide et méchante créature du sexe féminin, Maître D. se voit accusé par celle-ci d’entretenir des relations coupables avec sa cliente : — Je ne vous en souhaite pas autant mon cher confrère, riposte notre spirituel ami, s’adressant à l’avocat de la partie adverse.