Page:Souvestre, Laurens de la Barre, Luzel - Contes et légendes de Basse-Bretagne.djvu/29

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du Laurens narre ceux de Iann Houarn, et M. Luzel va jusqu’à, d’un innocent, faire un pape. Ce doux nom d’innocent sert à désigner l’idiot, et j’en veux presque à Souvestre du qualificatif brutal qu’il n’a pas craint d’accoler au nom de Peronnik. En Basse-Bretagne, on est plein de tendresse et de sollicitude pour ces pauvres d’esprit ; on considère comme une sorte de bénédiction leur inoffensive présence au foyer de la famille ; les conteurs ont pour eux une franche prédilection, les jettent dans les aventures les plus merveilleuses, et les en tirent invariablement victorieux. Les héros du peuple ne sont pas ceux de l’histoire : il façonne les siens à sa taille et à son goût, il les prend parmi les petits, afin que leur grandeur à venir soit plus frappante, et, laissant entrevoir sa vigueur sous le haillon de leur faiblesse, il les transfigure à sa manière, en leur donnant les qualités qu’il désirerait et les défauts qu’il accepterait chez ses maîtres.

Le dédain des traditions populaires bretonnes pour les personnages historiques a été mis récemment en relief avec beaucoup de talent par un chercheur aussi consciencieux qu’infatigable, M. Paul Sébillot. À peine si deux ou trois figures aimées, du Guesclin, Anne la bonne duchesse, échappent au naufrage dans lequel ont sombré César, Merlin, Arthur et le grand justicier Roland lui-même. L’amour des humbles est vivace à tel point dans notre sang breton que, prose ou poésie, les plus remarquables d’entre nos livres, pendant ce siècle, ont été inspirés par eux : les Derniers Bretons, de Souvestre, et les Bretons, de Brizeux, leur sont exclusivement consacrés. Brizeux, pourtant, avait l’intention de peindre la Bretagne héroïque ; mais il a tenu à ce que la Bretagne populaire passât devant, et l’Ankou est venu, farouche démocrate, faire un signe au poète, de peur, sans doute, que le paysan ne courût le risque d’être dominé ou éclipsé par le héros.

La sympathie des conteurs bretons pour le faible ne s’exerce point qu’en faveur de l’innocent : le cadet, le pauvre hère y sont englobés ; elle s’étend jusqu’aux bêtes, aux « chers animaux du bon Dieu ». Mais ceux-ci restent au