Page:Souvestre, Laurens de la Barre, Luzel - Contes et légendes de Basse-Bretagne.djvu/35

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taines inductions circonspectes, il n’y a plus qu’à se fourvoyer. C’est assez d’entrevoir que le mélange a eu lieu. Comment s’est-il opéré, à quel moment précis et par quelle action ? C’est l’obscurité des obscurités. Il n’y a que des aveugles ou des voyants qui puissent avoir la confiance d’en raisonner avec certitude. »

En dehors de ce cachet d’unité humaine, les traditions populaires varient dans la forme, dans la couleur, dans les détails, dans la mise en scène, suivant le caractère et le pays où elles s’épanouissent. Le merveilleux oriental est ample, solennel, enchevêtré, voluptueux ; les géants des Mille et une Nuits ont une taille démesurée, comme celle des discours et des histoires ; les palais resplendissent de gemmes chatoyantes ; les rêveries se déroulent et s’emmêlent ; les héros s’endorment dans des bras de femme. Plus sobre, plus clair, plus concis, plus nerveux, plus délicat, l’esprit français sourit à travers les Contes de Perrault. Le merveilleux breton n’a ni l’éclatant vernis du premier, ni la gracieuse élégance du second. Fils de la grève et de la bruyère, il a les hardiesses du marin et les naïvetés du pâtre ; il remplace raffinement par la malice et l’ingéniosité, l’art par une crânerie simple et tranquille ; moins ensoleillé, moins net, il plaît à force de franche humeur et de ressources. Il évolue dans un milieu des plus pittoresques, et qui, par sa robuste odeur de terroir, par ses angles, par son énergique crudité autant que par sa fraîcheur native, a, pour les palais blasés, un attrait comparable à celui que les histoires de bonnes femmes inspirèrent, vers la fin du siècle de Louis XIV, aux beaux esprits, las du Grand Cyrus et de Clélie. Il brusque les descriptions, s’attarde aux aventures, cabriole par-dessus les analyses, a l’horreur des grandes phrases et un faible pour les bouts de causette. Et puis, au lieu des sempiternelles incitations de Dinarzade, et du monotone « Il était une fois », l’entrée en scène de ses acteurs est d’ordinaire annoncée de la façon la plus savoureuse :


Ceci se passait du temps
Où les poules avaient des dents.